Crédit:

William Faulkner et la condition des Noirs aux Etats-Unis

Première de couverture du livre.Folio, Gallimard
Première de couverture du livre.
Folio, Gallimard

Le samedi 13 juillet 2013, George Zimmerman s’est vu acquitté du meurtre d’un jeune noir de 17 ans, Trayvon Martin, survenu le 26 février 2012 à Sanford, en Floride. Une occasion pour certains de reposer la question de la condition des Noirs aux Etats-Unis et dans le monde; et pour d’autres, d’accuser une Amérique raciste, une justice partisane… Tout ceci peut donc nous amener, à (re)lire certains auteurs américains du XXe siècle pour mieux comprendre l’évolution de la justice faite aux Noirs aux Etats-Unis dans la littérature américaine.

Cette démarche pose tout bonnement la question : « Que sait la littérature de l’histoire ? » Quoique la littérature ait tendance à caricaturer l’histoire, l’on ne saurait négliger la littérature de l’histoire. Ne faut-il pas caricaturer pour mieux faire ressortir les traits ? Dans cette démarche, William Faulkner, prix Nobel de littérature en 1945 et prix Pulitzer à deux reprises (1955 et 1963), constitue une piste importante.

Son recueil de nouvelles, « Une rose pour Emily et autres nouvelles », a été récemment repris par Gallimard dans sa collection Folio. Ce recueil regroupe quatre nouvelles tirées de son livre Treize nouvelles, paru pour la première fois en 1931 sous le titre original « These 13 » : Une rose pour Emily, Chevelure, Soleil couchant et Septembre ardent. Traduit par Maurice-Edgar Coindreau, R.-N. Raimbault et Ch.-P. Vorce, le livre met les projecteurs sur la condition des Noirs dans la ville de Jefferson au début du XXe siècle.

Le Noir, fils de l’Enfer

Jefferson est une petite ville située en Caroline du Nord. Elle occupe une place importante dans l’oeuvre de Faulkner. Que ce soit dans ses nouvelles ou dans ses romans, entre autres « Tandis que j’agonise » et « Lumière d’août ». Dans un style qui rappelle Edgar Poe, ou la Lodyans de Justin Lhérisson, voire de Georges Anglade, l’auteur du «Bruit et de la fureur» nous fait pénétrer les moeurs des habitants de cette ville et nous amène au coeur de l’Amérique raciste à la fin du XIXe siècle.

Si Faulkner conte l’histoire des familles blanches de la ville de Jefferson, ce sont des Noirs qu’il s’agit. Les nouvelles sont comme un prétexte pour pointer du doigt cette Amérique de début de siècle où le Noir n’est que domestique, blanchisseur, voleur ou violeur. Où l’enfer est Noir.

« J’suis fille de l’Enfer, mon enfant, dit Nancy. Bientôt j’serai plus rien. Je m’en retourne là d’où je suis sortie. ».

Voilà comment Nancy, la blanchisseuse noire de la nouvelle Soleil couchant, épouse de Jésus, un autre Noir, explique à Jason, le fils de son patron blanc, son destin. « J’suis rien qu’une négresse. C’est pas de ma faute », rumine-t-elle tout au long de la nouvelle. Faulkner se concentre sur les relations qu’entretiennent les Blancs et les Noirs dans cette localité. Un père qui refuse à ses enfants d’approcher les Noirs pour ne pas tomber malade. Une mère qui interdit la bonne noire de dormir dans sa maison, même pas sur le plancher…

Dans cette nouvelle, Faulkner raconte toutes les peurs, les péripéties et les calamités des Noirs de Jefferson. Emprisonnés. Battus. Bafoués. Méprisés. Tués. Persécutés jusqu’à se suicider. Nancy se verra battue par le seul fait qu’elle réclame son dû à un Blanc ou après sa tentative de suicide en prison. Mêmes les enfants sont conscients de la calamité d’être noir, et le petit-fils du patron se répète sans cesse « J’suis pas nègre, J’suis pas nègre », comme pour conjurer le sort.

La justice est-elle blanche ?

Si Nancy se voit emprisonnée à deux reprises, battue par la police ou abandonnée par son mari, la destinée de Will Mayes est bien plus tragique. Dans Septembre ardent, une rumeur circule. Une Blanche de quarante ans, Minnie Cooper, rejetée par les hommes de son village, serait violée par Will Mayes, un domestique noir. Et tous les Blancs sont de cet avis. Sauf le coiffeur Hawkshaw, que l’on retrouve aussi dans la nouvelle Chevelure.

« Accuseriez-vous une Blanche de mentir ?», dit un client à Hawkshaw dans une ville où le mot négrophile est une insulte et est souvent précédé de « sale ». Sale négrophile. Ainsi, une équipe entourée d’un ancien commandant, fusil en main, se décide au beau milieu de la nuit d’aller rendre à ce nègre ce qu’il mérite. Malgré toutes les manoeuvres et les supplications d’Hawkshaw, il ne put arrêter le commandant Mc Lendon dans sa rage de justice.

Tout ceci se passe au second plan dans les nouvelles. Faulkner se contente de raconter, de conter.

Il ne prend pas position. Il n’annonce en aucun cas la Négritude, le Noirisme ou autres mouvements intellectuels. Mais il dénonce ces injustices, braque son projecteur sur la condition des Noirs. Toutefois, ce recueil de nouvelles n’est pas idéologique (explicitement). William Faulkner, en bon nouvelliste, raconte les faits dans un pessimisme sombre. La lecture de ce livre laisse tout lecteur dans une profonde amertume et l’invite à se demander, plus d’un siècle plus tard, si la condition des Noirs a réellement changé aujourd’hui en Amérique. Malgré les grands progrès sociaux et économiques, si la justice est juste et le paradis sans couleur.

 

Webert Charles

Le Nouvelliste : 01/08/2013

Partagez

Auteur·e

cwebbn

Commentaires

Baba MAHAMAT
Répondre

Très beau ce billet surtout le premier dans la grande famille de Mondoblog. Nous sommes passés par là aussi il y a une année avant d'être sélectionnés pour la formation à Dakar. Tu as un talent qui ne se cache pas, dans ton billet, j'ai vu en toi quelqu'un possédant une expérience dans le blogging. ce qui est bien dans cette aventure Mondoblog, c'est l'importance que nous donnons au mot famille. Nous sommes une famille et échanger reste notre principal défis. Il y aussi la diversité des contributeurs. A Dakar en 2013 par exemple, nous étions 52 venus de plus d'une vingtaine de pays et surtout de 4 continents, imagine la richesse de cette rencontre où moi par exemple un centrafricain, doit échanger avec un togolais, un Haïtien et un Béninois avec qui nous partageons la même chambre. Nous avons appris à partager et surtout à échanger sur nos pays respectif.
Je suis certes centrafricain mais résidant à Douala depuis quelques mois pour des raisons académiques. j’espère de tout mon cœur que nous échangerions souvent. Mon mail est baba.mht@gmail.com et mon blog eyesango.mondoblog.org dans lequel je parle surtout des actualités de mon pays meurtri par la guère.
Bien à toi Charlot, mon frère!
Baba Mahamat

Wébert Charles
Répondre

Merci pour les compliments !
A bientôt !

engabeExtexet
Répondre

Merci d'avoir un blog interessant