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Non, nous ne sommes pas maudits !

(c) Webert Charles
Dany Laferrière à la Fokal (Haïti)
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Cet après-midi, je suis allé voir Dany Laferrière à la Fokal. Vous savez, le petit-fils de Da vient juste d’être élu à la prestigieuse Académie française. A la vue de cet homme singulier, je n’ai pas pu étouffer la montée de l’émotion, comme une éruption de joie et de fierté. Au fait, ce n’est pas Dany Laferrière que j’ai vu, ce jeudi 12 décembre. C’est plutôt un homme fait d’autres hommes et d’autres femmes, de ses relations, de ses lectures. C’est Gasner Raymond, son confrère journaliste au Petit samedi soir, assassiné par les sbires de Duvalier ; c’est son père Windsor Laferrière, mort à New York ; c’est Pierre Clitandre, l’un de ses premiers collaborateurs ; c’est Henry Miller, un de ses écrivains préférés ; c’est Da, sa grand-mère, qui lui a donné à Petit-Gôave le goût des choses simples, mais combien essentielles. Tous ces hommes et toutes ces femmes morts ou vivants ont pris place chez cet homme singulier.

Dany, c’est aussi cette jeune adolescente assise sur une marche du perron dans le couloir de la Fokal, un livre dans les mains, faute de ne pas pouvoir entrer à la salle Unesco, rêvant sans doute de conquête, comme si la littérature était sa seule porte de sortie, une question de vie ou de mort. Le rêve de la jeunesse haïtienne, ce jeudi 12 décembre, a pris un tournant décisif. Dany devient cet homme qui porte en lui l’âme de la jeunesse comme un étendard. Mais, comment peut-on être tout cela en même temps et sourire humblement ?

Un homme qui a vécu en exil au Québec et qui a intégré cette société jusqu’à devenir une fierté pour les deux peuples qui le partagent calmement et qui apprennent à se découvrir l’un et l’autre. Un homme qui a visité presque tous les continents du monde, qui est entré dans le dictionnaire Larousse et qui a reçu le prestigieux prix Médicis en 2009 pour son « Énigme du retour », comme si la vie ne lui suffisait pas, le voilà Immortel. Et demeure avec lui l’espoir de toute une jeunesse d’écrivains ou d’artistes.

Il nous a fallu vivre un après-midi comme celui-ci pour croire que nous ne vivons pas une crise de modèles, qu’il n’existe pas uniquement dans le pays des bouleversements politiques, des refrains coutumiers de coups d’Etat, des éternelles polémiques entre partisans du pouvoir et opposants, des cyclones, des tremblements de terre, la dénationalisation des Dominicains d’origine haïtienne nés à partir de 1929 suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle… Dany nous apprend, contrairement à ce que croient certains jeunes déboussolés, que non, nous ne sommes pas maudits !

 

webertcharles@lenouvelliste.com

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Auteur·e

cwebbn

Commentaires

Mylène
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Ce texte m'a tant ému. Je ressens à nouveau cette incroyable émotion, cette grande joie, ressenties lorsque j'ai appris la nouvelle. Merci.