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Dominique Batraville dans la peau d'un ange de charbon

Les éditions Zulma viennent de faire paraître le premier roman de l’écrivain et journaliste Dominique Batraville, L’Ange de charbon. Un livre sur l’après-séisme qui mêle humour noir, mysticisme et quête identitaire.
Dominique Batraville
Dominique Batraville

Lange_de_charbonDominique Batraville, connu en Haïti comme globe-trotteur, dramaturge, acteur, écrivain et chroniqueur littéraire, est un homme à multiples chapeaux. Son dernier livre, L’Ange de charbon, dans la même veine que son récit Le récitant zen, nous fait revivre Port-au-Prince nommé Port-Loto, secoué par le séisme, un après-midi de fin du monde.

Dans ce roman, l’auteur nous fait voir le réel dans un kaléidoscope…M’Badjo Baldini, le narrateur du livre et l’Ange de charbon lui-même, clame haut et fort sa nationalité italienne, dans une ville qui ne finit pas de subir des catastrophes naturelles et politiques. Faudrait-il être italien, polonais, égyptien pour survivre à la catastrophe dans un pays où le refus de soi est monnaie courante ? Plongé dans une sorte de délire proche de la paranoïa, M’Badjo Baldini dérive dans les rues de Port-au-prince, sur les ruines de la capitale dévastée par M. Richter.

L’Italien noir

12 janvier 2010. L’année 00. Un séisme décime la ville de Port-Loto. La communauté italienne est dévastée. Des sept oncles de M’Badjo Baldini, il ne reste que Fra Danilo Baldini. Le narrateur se donne pour mission de raconter le roman de sa famille, les Baldini. C’est cette vision délirante que nous fait voir le personnage principal du roman L’Ange de charbon, un Italien noir qui manifeste un amour démesuré pour la culture italienne, le football italien, les chaussures italiennes. Mais, à cause de la couleur de sa peau, il doit à tout moment justifier son italianité :  » Je suis M’Badjo Baldini, Italien d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Je parle très peu l’italien. Je m’en fous. Je suis un personnage inconnu de Pirandello ». Si le narrateur semble être un aliéné mental, qui n’est peut-être pas sorti sain et sauf du séisme, sa vision des choses en dit long sur la constitution de la société haïtienne. Ne sommes-nous pas une multitude de communautés qui se cherchent ? Comment être Haïtien aujourd’hui ? et comment les diverses communautés (juive, polonaise, italienne) ont-elles vécu le séisme ?

Le pacte de la fiction et du réel

Dominique Batraville, en forgeur de mots, de situations et de villes, va aux confins du réel pour nous camper une ville assiégée, abattue par la nature aussi bien que par la dictature. Si, dans le roman haïtien, Port-au-Prince, comme personnage, a souvent un nom d’emprunt (Port-aux-Crimes, Port-aux-Putes, Port-aux-Crasses), c’est par le sobriquet de Port-Loto ou de Port-aux-Crimes que Dominique Batraville nomme la ville. Mais, ce qui est frappant, dans tous les cas, il s’agit d’une vision sombre de la ville. La même technique est utilisée quand les écrivains nomment les tyrans du régime dictatorial des Duvalier. Dans L’Ange de charbon, François Duvalier est baptisé Papa Guédé Nibo et son fils Jean-Claude Duvalier, Guédé Nibo fils. Si certains écrivains ont donné aux Duvalier des noms d’emprunt par prudence, Dominique Batraville, pour sa part semble le faire pour créer un pacte entre le réel et la fiction et pour dire que l’imaginaire est le territoire inaliénable du romanesque.

L’Ange de charbon de Dominique Batraville est un roman qui bouleverse, quoique l’écriture fasse tourner le lecteur dans une spirale. Son écriture fragmentaire, la mise en récit des diverses communautés qui vivent en Haïti, font que ce livre n’est pas un roman de trop sur le séisme.

 

Wébert Charles
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