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[Nouvelles] Le voisin d'en face (épisode 3)

Nul ne pourra vous dire combien de jours après la mort de Jacques Levé-tombé l’événement suivant arriva. Les villageois semblaient avoir perdu l’art de compter les va-et-vient du soleil et de regarder leurs ombres sous leurs pieds, prédisant ainsi les jours de la semaine. Mais, ce qui arriva était vraiment arrivé. Personne ne vous dira le contraire. Un jour comme tous les autres, pendant que Brigitte traversait la rivière, elle aperçut le corps de Paloma, gonflé tel un ballon entre deux troncs d’arbre sur le sable. Tout disait que Paloma, le marchand d’anglais, ne se reposait pas. Et Brigitte n’avait pas mis trop de temps pour comprendre qu’il était mort depuis plusieurs jours, tellement l’odeur que dégageait ce corps gras sur le sable, mêlée aux excréments d’animaux qui vagabondaient au bord de la rivière, était nauséabonde.

La mort de Paloma avait beaucoup plus attristé le village que celle de Jacques. Non pas parce que Paloma le marchand d’anglais ambulant, fut un déporté des États-Unis, encore moins parce qu’il vendait des mots d’anglais à des enfants du village, mais parce que tous les villageois avaient senti une menace pesée sur Sans-souci, atténuant l’inquiétude de quelques-uns sur le fait qu’un malheur planait sur le village. La mort est une conséquence naturelle, nous avait appris en vain l’Oncle, car nous tous au village étions persuadés que le Voisin-d’en-face y était pour quelque chose et que jamais les dieux, tellement nous les nourrissions de sang de coq, de rhums forts et de parfums frais, ne s’élèveraient contre nous. Il suffisait qu’un homme débarquât à Sans-soucis, sans y avoir été invité, plantât sa maison tel un étendard après la conquête d’un territoire par un guerrier, dira plus tard l’Oncle, pour que les morts pleuvent au village.

— A suivre

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cwebbn

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