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Femmes et art en Haïti : un pari difficile

Yanick Lahens(c) Dieulermesson PETIT FRERE
Yanick Lahens
(c) Dieulermesson PETIT FRERE
Marie Alice THEARD(c) Webert CHARLES
Marie Alice THEARD
(c) Webert CHARLES

Depuis quelques temps, le discours sur la femme a tendance à changer. Considérée autrefois quasiment comme objet attaché au foyer, grâce aux métiers de l’art, elle devient sujet et s’impose de plus en plus en acquérant une certaine visibilité (ou une visibilité certaine) dans la cité.

En effet, le champ artistique ou culturel comme n’importe quel autre champ de pouvoir (politique, économique) a toujours été, depuis la nuit des temps, la chasse gardée des hommes. La stigmatisation à l’égard des femmes dans le monde de l’art a toujours fait des vagues. Il suffit de voir comment le phénomène a pris du terrain avec des formules du genre  »femme-artiste »,  »femme-auteur » qui donnent une valeur sexuée à l’art et réduisent du coup (même implicitement) la valeur de l’oeuvre en y imposant une suprématie masculine.

C’est surtout dans les années 1970, plus précisément avec le féminisme -mouvement qui réclamait l’émancipation des femmes- que la tendance a commencé à changer. Dans un article publié en 2001 dans le quatrième numéro de la revue  »Sociétés contemporaines » (L’écriture-femme, une innovation esthétique emblématique), Delphine Naudier affirme que des écrivaines ont pu profiter de cette conjoncture sociale et historique pour retourner le stigmate de l’appartenance sexuée en emblème d’une innovation esthétique. Ces auteures vont s’imposer dans les rangs de l’avant-garde littéraire en mettant au coeur de leurs livres la revalorisation du féminin. Cette construction sociale et symbolique de la légitimité des écrivaines, écrit-elle, a été édifiée à la fois en dénonçant la suprématie masculine dans le monde des lettres, et en définissant une ligne esthétique qui, théorisée, manifeste la possibilité qu’ont les femmes désormais d’occuper visiblement le territoire littéraire.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la lutte contre la tendance qui consiste à donner un sexe à l’art s’inscrit dans un contexte où il s’agit d’ouvrir tout un champ de possibilités aux femmes. Car toute tentative de donner un sexe à l’art est une attitude arbitraire. Le fait d’écrire, de peindre ne relève pas d’une activité sexuée. La créativité, l’esprit critique sont du domaine de l’humain et non d’un sexe particulier.

Haïti, une terre d’artistes

C’est Yanick Lahens qui le dit :  »Haïti existe par ses écrits, une terre d’artistes ». Une façon pour elle de signifier l’importance de l’art, la création dans l’imaginaire haïtien. En un mot, l’art est tout ce qu’il y a de plus valeureux, de plus positif à offrir à la face du monde. Parce que c’est ce qui maintient le pays en vie. Parce que c’est un élément fondamental de son identité. Et c’est Dany Laferrière qui l’a signalé au lendemain du séisme de 2010 :  »quand tout tombe en Haïti, il n’y a que l’art qui reste debout ».

L’art comme salut

Même si l’art n’est pas une activité sexuée, il faut toutefois mentionner la part de cette forme d’oppression masculine de l’art dans les activités touchant les choses de l’esprit. La femme a été pendant longtemps gardée très loin de l’arène artistique. A partir des années 1990, la situation a un peu changé. Aujourd’hui, il est possible de dire qu’il y a eu des avancées considérables. Il y a une sorte d’éclosion de la parole et de la voix des femmes.

Pour Yanick Lahens par exemple, la littérature féminine n’est plus en gestation, elle se vit aujourd’hui. Les femmes, précise-t-elle, sont en situation et les paroles qu’elles disent ne sont identiques à celles des hommes. Depuis les années 1950, avec Marie Chauvet surtout, elles ont commencé à voir la réalité politique non à partir des échafaudages idéologiques et théoriques mais à partir de choses plus quotidiennes et qui révèlent autant/sinon plus les contradictions sociales et économiques du pays. Même s’il est clair qu’en Haïti les femmes écrivent dans l’oeil du cyclone compte tenu des contraintes quotidiennes de l’organisation de la vie auxquelles elles doivent faire face.

Une des particularités de l’art est cette volonté de créer des mondes, des univers parallèles. Il se veut une sorte de passerelle qui permet de transmettre les sensations, les émotions. Il fait partie de la condition humaine. C’est l’aspiration à aller au-delà de tout ce qui est de l’ordre d’une certaine finitude. L’auteure de  »Guillaume et Nathalie » pense que l’art au féminin se porte bien et qu’il y a de l’avenir.  »La littérature me sauve tous les jours en Haïti. Elle me permet de combler mon manque à moi et me met en dialogue avec un bon nombre de gens que je ne connais même pas » avoue la romancière.

Révolte ou gageure ?

Quand on crée, le sexe n’existe pas. Le créateur ne se soucie pas des balises, des règles que la société lui impose. En présence d’une oeuvre d’art, le spectateur ne peut que s’ébahir. Ce n’est pas Marie Alice Théard qui dira le contraire. Parler de l’art au féminin relève d’une gageure car en présence de l’expression artistique d’une âme, on ne saurait dire s’il y a un sexe qui va avec, a fait remarquer l’historienne de l’art. L’art n’as pas de sexe. Ce qui compte c’est la qualité de l’oeuvre. Difficile de lui coller une étiquette sexuelle. La figure féminine est très présente dans l’art haïtien. Comme on est dans une société à dominante masculine, on a tendance à ignorer le travail artistique des femmes.

Aujourd’hui, les femmes-artistes s’affirment de plus en plus. Sans la moindre crainte. En s’affranchissant peu à peu du poids de la domination masculine. On n’est pas sans savoir que très peu de femmes-artistes sont soutenues par leur entourage immédiat -entendre par là leur famille, leur mari- même si on est dans une société matriarcale. Elles sont généralement attelées aux tâches domestiques. C’est là l’inquiétude de Kermonde Lovely Fifi, figure émergente de la poésie féminine haïtienne et comédienne, qui croit que dans un milieu comme Haïti, il y a tellement d’impondérables, tellement d’inattendus et de besoins immédiats, qu’on doit d’abord penser à la survie qu’à la création.

 

Dieulermesson PETIT FRERE

djason_2015@yahoo.fr

Montevideo, 19 août 2013

Le Nouvelliste : 29/08/13

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