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Le séisme du 12 janvier : des universitaires accusent

Ruines de la Cathédrale de Port-au-Prince (c) TV5 Monde

12 janvier 2010. Un séisme d’une magnitude 7.3 chevauche la ville de Port-au-Prince et ses environs. Elle explose, et les cadavres pleuvent.  316 000 morts (chiffre contesté par l’USAID). Et vous connaissez la suite. Ce que vous ignorez, peut-être, est que ce séisme n’est que la mauvaise parure qui cache des problèmes qui ont fermenté depuis plus de 500 ans. Et que des rapaces en ont profité pour s’enrichir et consolider leur système.

Pour éclairer  nos lanternes, des chercheurs, professeurs d’université, journalistes (près d’une cinquantaine) se sont penchés sur le séisme en l’analysant d’un œil fin. Ces travaux sont réunis par le professeur Mark Schuller et l’éditeur Pablo Morales en un volume de 368 pages, riche en informations et qui ne manque pas de dénoncer l’échec du néolibéralisme en Haïti.

Le livre « Tectonic Shifts », publié aux Etats-Unis en 2012, est repris dans une traduction en créole par le linguiste Avin Jean François, sous le titre « Deplasman Tektonik ». Divisé en trois parties, le livre offre une réflexion profonde sur la catastrophe meurtrière de janvier 2010.

La naissance d’un séisme économique

Selon les coordonnateurs de l’ouvrage, les efforts des Haïtiens eux-mêmes après le séisme ont été absents du débat international. L’altérité des Haïtiens qui s’entraidaient les premières secondes après le désastre, n’a pas fait la une des journaux internationaux. Ce sont plutôt les images sales, les cadavres en décomposition, les enfants abandonnés que les médias ont offerts durant trois semaines à l’étranger, pour déchaîner la compassion des citoyens charitables. Cette technique, quoiqu’avilissante pour nous, avait permis d’amasser plus de 1,4 milliard de dollars aux Etats-Unis. Reste à savoir quel usage on a fait de cet argent. Kevin Edmonds, étudiant en maîtrise à l’université de Toronto (Canada), reprend les statistiques de l’  « Associated Press » : 33 % de l’aide américaine pour le relèvement sont allés droit à l’Armée américaine (US Army). Les ONG en ont reçu de leur côté 43 %.

Toujours selon l’auteur qui dénonce le « business de la pauvreté en Haïti », « la Croix-Rouge américaine a amassé $ 225 millions de donations privées ». Cependant, « seulement 106 millions sont dépensés en Haiti, soit moins que la moitié, 18 mois après le séisme ».

De leur coté, Ansel Herz et Kim Ives mettent les projecteurs sur l’arrogance des firmes internationales, s’occupant de leur butin, pendant que les pauvres gens meurent sous les décombres. Les auteurs ont repris un  « texte secret » (dévoilé par WikiLeaks) de Kenneth Merten, alors ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, pour qui « la ruée vers l’or est lancée » en Haïti. Les auteurs affirment que l’ancien ambassadeur aurait écrit: «  Pendan Ayisyen yo ap fouye dekonb tranblemann tè a, anpil konpayi ameriken ap vini pou vann konsèp yo, pwodui yo ak sèvis yo ».

Isabeau Doucet et Isabel Macdonald, pour leur part, ont pointé du doigt  la Fondation Clinton qui illustrerait bien le « désastre du capitalisme ». Selon les auteurs, « Fondasyon Clinton pwopoze pwojè a, li finanse li et li egzekite li ». Ils dénoncent la mauvaise gestion du projet et affirment que ce projet était voué à l’échec.

Un séisme profond

Pour les auteurs de cet ouvrage, il ne s’agit pas uniquement des Etats-Unis. Anthony Olivier-Smith, anthropologue, pense que le séisme du 12 janvier se fermente depuis 500 ans. Ce n’est pas un accident. Ni un jugement de Dieu.  Les causes sont liées à l’histoire.

L’anthropologue fait une belle démonstration pour illustrer sa thèse. Partant de la mort des Taynos (les premiers habitants de l’île), il questionne l’histoire. Fouille. Et réfléchit. Selon lui, après la mort des Taynos, les Français arrivent sur l’île 125 ans après avoir imposé l’esclavage aux Africains qu’ils ont eux-mêmes fait venir à Saint-Domingue. En 1804, ces esclaves se déclarent libres. De là est née la vulnérabilité du pays. Les Français demandent à être dédommagés. En 1825, les Haïtiens s’endettent et s’appauvrissent pour payer cette indemnité.  En 1915, les Etats-Unis occupent le sol. Pillent les richesses du pays. Sous le gouvernement des Duvalier (1957-1986), les cochons créoles, principale richesse des paysans, sont tués. Les paysans deviennent plus pauvres. Le FMI réduit le tarif des importations. Les produits agricoles internationaux envahissent le marché. Le dernier recours des paysans est de laisser leurs terres pour venir construire des bidonvilles à Port-au-Prince. Constructions anarchiques. Tremblement de terre. Désastre. 316 000 morts. Selon Yolette Etienne, 86 % des maisons détruites ont été construites à partir de 1990.

Les causes, comme on le voit, paraissent plus profondes qu’une simple faille tectonique.  Par ce livre, les universitaires (étrangers et haïtiens) veulent informer le plus grand nombre sur les questions qui les concernent. Voilà pourquoi ils offrent, avant l’édition française, une version en créole. Pour que les gens du peuple la lisent. Des argumentations discutables certes, mais qui sont bien construites. Un livre qui ne plaira pas, il faut le dire.

Wébert Charles

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cwebbn

Commentaires

Mylène
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Eh bien, que cet ouvrage a l'air riche et intéressant ! J'ai vraiment hâte de me le procurer. Merci de t'en être fait l'écho via ton billet qui recèle déjà de pas mal d'informations.