Crédit:

À quoi servent les préfaces ?

La préface de Cromwell
La préface de Cromwell

Quel écrivain n’a jamais reçu la demande de rédiger une préface pour un autre plus jeune ou qui fait ses premiers pas dans la littérature ? Entre la littérature et les préfaces, il y a une longue histoire d’amour, et comme toute histoire d’amour, elle est faite aussi de haîne et parfois même de répulsion. Ce qui peut nous pousser à nous demander si les préfaces, souvent rédigées dans le but de légitimer une œuvre ou un auteur, sont, elles-mêmes, légitimes ? Là, je pense à Bonel Auguste affublé à tort du titre de poète-philosophe par Franketienne ou même à Kermonde Lovely Fifi qu’Emmelie Prophète cite comme une voix qui nous manquait, quand on en a eue tellement… On se souvient des premières lignes de la préface de En route de l’écrivain français Huysman qui disait, dans une ironie sans égale, «…je m’abstiens de faire devancer mes livres d’inutiles phrases ». Ou de la postface du recueil de poèmes Le voyage Inventé (Claude Pierre) rédigée par Lyonel Trouillot, polémiste de son état, disant « heureusement pour les préfaciers qu’il existe ce genre appelé la postface pour leur voler la palme du ridicule ».

Si les préfaces sont inutiles ou relèvent du ridicule, pourquoi s’acharne-t-on à en rédiger ou à demander qu’on nous en rédige ? Le jeune auteur qui mise sur la préface ne court-il pas le risque de la voir voler la vedette à son livre ? Car les préfaces-vedettes, on en a connues : la préface de Cromwell ou celle de Pierre et Jean sont considérées comme beaucoup plus utiles (pour ridiculiser un peu Huysman) que les textes. Mais il s’agit ici de préfaces rédigées par les auteurs des livres eux-mêmes, ce que la critique littéraire appelle la préface auctorielle. Les préfaces peuvent donc faire autant de bien que de mal. Qui ne se souvient pas de cet écrivain, parcourant les rues de Port-au-Prince, cherchant les rares exemplaires de son livre après le départ de Baby Doc se rappelant que ce livre a été préfacé par un tonton macoute. Ce livre dont on ne citera pas le titre, dommage, à cause de la préface, n’a pas vécu longtemps.

Si les préfaciers donnent une part de leur célébrité ou de leur autorité à l’auteur préfacé, l’équation inverse est parfois envisagée par eux. En préfaçant le livre d’un grand auteur, on se donne aussi un peu de légitimité. C’est ce qu’on verra si l’on pense à Lyonel Trouillot préfaçant René Philoctète ou à Emmelie Prophète préfaçant le dernier recueil de poème de Lyonel Trouillot. Mais en vérité, vous dis-je, pour reprendre un peu Mallarmé, « un bon livre se passe de présentation ».

Étiquettes
Partagez

Auteur·e

cwebbn

Commentaires