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Haïti, en littérature, les femmes ont la vie dure !

(c) Antony PHELPS
(c) Antony Phelps

Les femmes sont les grandes absentes de l’histoire littéraire du XIXe siècle haïtien. Sur les quelques écrivains répertoriés par les historiens officiels de la littérature haïtienne [Pradel Pompilus, Raphaël Berrou] durant la période 1804-1898, on ne fait mention d’aucune femme écrivaine, sinon de Virginie Sampeur (1893-1919). Mais certains historiens préfèrent la classer dans la catégorie des écrivains de La Ronde, c’est-à-dire au XXe siècle. Ces historiens « officiels » ont été mandatés par l’État pour doter la littérature haïtienne d’un manuel qui fera école, car tous les critiques « traditionnels » s’en sont inspiré, pour ne pas dire qu’ils l’ont copié.
Les critiques littéraires qui viendront par la suite n’ont malheureusement fait aucun effort pour lancer le débat sur la présence de certaines femmes écrivaines dans les premières périodes de la littérature haïtienne. La recherche sur la présence les écrivaines durant la période 1804-1898 menée par la collection Voix féminines de Legs édition sur son site Internet avance à petits pas. Il est toutefois difficile de remonter à des revues anciennes (entre 1804 et 1904) qui contiendraient un poème ou un conte d’une femme. Dans les premiers numéros de la revue La Ronde, par exemple, les femmes sont citées comme des collaboratrices. À la dernière page du deuxième numéro de La Ronde, on cite « Mme Virginie Sampeur, Mme Myriette, Mme C.L.F, Mlles Liane, Lily, Héchel, Bila, Luciole. Mme J.C.D, Miss Sonia, etc.»
Ce qu’il faut signaler ici, c’est que les femmes ne sont pas considérées comme membres de la rédaction de la revue La Ronde, elles sont des « collaboratrices » quand les hommes sont des « rédacteurs ». Elles sont toutes désignées par le titre « Mme, Mlle ou Miss », qui réduit un peu l’identité de la femme à un statut matrimonial. On ne dit pas, par exemple, dans ce même numéro, « M. Constantin Mayard ». Encore une chose à signaler : les responsables de la revue ne citent que les prénoms, parfois des initiales, non pas le nom complet de ces « collaboratrices ». Exception faite pour Virginie Sampeur. La mention « etc., etc. » laisse penser qu’il y a eu beaucoup de femmes à avoir collaboré à cette revue.  Il reste à savoir maintenant si ces femmes citées ici ont été toutes des écrivaines. La recherche a une longue route devant elle.

Les femmes au XXe siècle

Absentes durant tout le premier siècle de l’histoire officielle de la littérature haïtienne, les femmes seront méprisées, sous-évaluées, tout au long du XXe siècle. Le « Manuel illustré de l’histoire de la littérature haïtienne », sur près de 400 pages, ne fait mention que de six écrivaines : Virginie Sampeur, Jacqueline Beaugé, Janine Tavernier, Mona Rouzier, Marie Rose Perrier et Marie Vieux Chauvet. Les cinq premières sont évoquées en une ou deux phrases, parfois trois mots suffisent pour parler de la production littéraire de ces femmes. Dans le cas de Marie Vieux Chauvet dont la présentation fait moins de deux pages, c’est en ces termes que les auteurs parlent de celle qui deviendra la pionnière du roman moderne en Haïti : « Marie Vieux Chauvet écrit avec facilité. Mais son style manque généralement de force » (sic).

Le groupe Haïti littéraire qui a fait le bruit et la fureur dans les années 1960 en Haïti est, dans la tête du lecteur lambda, constitué que de cinq poètes : Anthony Phelps, Roland Morisseau, Serge Legagneur, René Philoctète et Davertige. Alors qu’au début du mouvement, les poétesses Janine Tavernier et Jacqueline Beaugé ont elles aussi publié dans la collection Haïti Littéraire. Une querelle s’est même éclatée avec le groupe Hougénikon au sujet de Jacqueline Beaugé. Si le lecteur lambda ne pense qu’à cinq hommes quand on évoque en sa présence le groupe Haïti Littéraire, il n’est évidemment pour rien. Dans un discours prononcé par Anthony Phelps sur le groupe à l’ambassade d’Haïti à Washington en 2005 (cf. Ile en Ile), Janine Tavernier et Jacqueline Beaugé sont considérées comme des satellites, et ceci au bas de l’échelle. Les femmes ont la vie dure en littérature.

La situation est-elle différente aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les femmes semblent trouver une place dans l’espace littéraire haïtien. La génération 1950, celle qui domine la littérature contemporaine depuis les années 1990, donne la parole à plusieurs écrivaines qui se font entendre au-delà des frontières, et ceci dans des genres différents : Yanick Lahens, Kettly Mars, Evelyne Trouillot, Marie Célie Agnant, Marie Alice Théard, Margaret Papillon, Elsie Suréna…

La nouvelle génération, qui est celle des années 1970, voit naître des auteures comme Emmelie Prophète, Jeanie Bogart, Stéphane Martelly. Mais que retiendra l’histoire littéraire ? Telle a été ma surprise de voir sur les réseaux sociaux une affiche évoquant les grandes figurent de la poésie haïtienne des années 1960 à nos jours de l’association Phrase ambulante, sans avoir fait mention d’au moins une femme. La critique littéraire a une grande responsabilité dans ce débat.

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Auteur·e

cwebbn

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