Wébert Charles


Vlog littéraire : teaser

Nouvelle série sur Libre de lire à partir de 5 décembre 2016. Rencontre avec les auteurs, les libraires et les bibliothécaires sur leur passion : la littérature. Une série de vidéos de moins de 5 minutes, filmées et montées sur smartphone.

Le #teaser


[Audio] Lyonel Trouillot : Nous sommes des villes disparues

Lyonel Trouillot (c) Creative Common

Toujours dans le cadre de la rubrique Poème audio, nous avons le plaisir de diffuser l’enregistrement du poème de Lyonel Trouillot, Nous sommes des villes disparues, publié dans l’Anthologie de la poésie haïtienne contemporaine. Ce livre de James Noël paru en novembre 2015 a retenu notre attention. Aussi souhaitons-nous vous faire découvrir quelques extraits.

Voix : Wébert Charles
Poème : Lyonel Trouillot
Musique : Lacrimosa requiem, Mozart.

Nous sommes des villes disparues

Où est la ville que j’aimais ?
Je ne veux pas être dans le grand cimetière.
Je veux les lumières mortes de la cité de l’exposition.
Je veux les papillons de la Saint-Jean.
Je veux les petites filles qui passent dans la rue
et mon regard naissant comme une chanson secrète.
Je veux être enterré dans mon enfance,
sur le toit de la maison voisine,
lancer au ciel mon premier cerf-volant,
épuiser par ce geste tout rêve de conquête,
Je veux casser la gueule au petit imbécile
qui attache à un bout de ficelle la queue d’une libellule
Je veux mourir dans mon enfance
et que ne souffrent les humains et les libellules.
Et si mourir n’était que cette longue marche dans ma ville disparues !
Chemins verts
et chemins de pluie,
la place Carl Brouard,
La statue ivre de l’alcool bu par le poète
Sur laquelle les pigeons viennent prendre leur envol,
le Portail Léogâne
où s’aimèrent à la folie un couple de lesbiennes.
Je veux mourir dans mon enfance
dans une ville sans casque bleus,
sans « oui blanc »
« Plaît-il blanc »
« Merci blanc »
Je veux la bonne odeur du tabac de Roumer,
rue Capois, dans la cour du lycée des jeunes filles.
Je suis ce fantôme qui marche dans le lit
desséché de la Rivière Froide.
Je veux revenir à moi-même :
Enfant d’eau et de terre
marchant sur le corps de ma ville
d’un pas léger comme un baiser,
et jamais devenir l’homme que je serai
témoins de toutes ces morts
par surprise
ou préméditées.
Où suis-je ?
Ô dure absence de moi-même !
Où est la ville que j’aimais ? […]

Lyonel Trouillot, Anthologie de la poésie haïtienne contemporaine.

 


Littérature – Wébert Charles lit Faubert Bolivar

Faubert Bolivar
Faubert Bolivar

La poésie se souviendra sans doute toujours de 2015, l’année de publication chez les éditions Seuil, dans la collection Points, de l’Anthologie de la poésie haïtienne contemporaine sous la direction de James Noël. Pour vous faire découvrir ce livre-événement qui regroupe 73 poètes haïtiens vivants, nous initions la rubrique « Poème audio » sur ce blog. Pour démarrer la série, nous proposons la lecture d’un poème de Faubert Bolivar.

 

Voix : Wébert Charles
Poème : Faubert Bolivar
Musique : L’ombre et la lumière, Grand Corps malade, Calogero [Visionner la vidéo officielle]

 

 

Quand je grandissais, il était interdit aux enfants de jouer avec leurs ombres. L’ombre porte malheur, disait-on. Pourtant, ou pour cette raison, j’étais fasciné par mon ombre, le mot et la chose. Comme tous les enfants, je suppose. Je la contemplais. De tout cela, j’ai retenu que l’ombre n’est pas l’homme. Elle change suivant la lumière qui la reflète. J’ai appris aussi à ne jamais faire de l’ombre aux autres. Je préfère m’occuper de la mienne [propre]. Quel sorcier devrait-on être pour projeter à la fois son ombre et celle d’un autre ! – Faubert Bolivar, Anthologie de la poésie haïtienne contemporaine.


Que lisait Léopold Sédar Senghor ?

Léopold Sédar Senghor, né en 1906, au Sénégal et mort en 2001, en France, est un lecteur cosmopolite, un intellectuel qui savait choisir ses livres.

Léopold Sédar Senghor, common.wikimedia.org
Léopold Sédar Senghor, common.wikimedia.org

Tout bon écrivain est admiré pour sa plume. Certains le sont aussi pour leur charisme, d’autres pour leur engagement politique. Mais l’on parle rarement de ce que lisent les écrivains. Oublie-t-on que la littérature est un éternel ressassement ? Tout écrivain, est avant tout lecteur. Dis-moi ce que tu lis, je te dirai quel écrivain tu es.

Senghor, fervent défenseur de la condition des noirs avec ses amis Césaire et Damas, ancien président de la République du Sénégal, et surtout premier Noir à être admis à l’Académie française, a été un homme cultivé. Un lecteur humaniste, pour ne pas dire cosmopolite. À la suite d’un voyage à Dakar, nous avons pu visiter la maison de cet homme de lettres, devenue récemment le Musée Senghor. Le guide, un ancien soldat de l’armée sénégalaise, le buste droit, la rigueur au bout de la langue, nous fait visiter la maison, où règne une paix intérieure, celle surement recherchée par l’ancien président pour son pays.

Ce qui surprend tout observateur curieux à la vue du bureau de Léopold Sédar Senghor est la variété de livres qu’il détenait. Des livres de tous les genres, de tous les pays ; une bibliothèque-monde, soigneusement garnie. Des livres d’auteurs haïtiens ou sur Haïti comme les deux tomes d’Histoire illustrée de la littérature haïtienne de Pradel Pompilus et Raphaël Berrou, d’un livre d’Émile Roumer sur Carl Brouard, et le fameux livre de René Depestre, Bonjour et Adieu à la négritude. Sur sa table de travail, un livre, un peu jauni par le temps est posé à droite de sa chaise. Un livre dont les pages semblent fondre au touché. Sans doute son livre de chevet : un dictionnaire illustré de langue française. Senghor, académicien de son état, était un amoureux de la langue française. Un puriste, « un petit français », comme l’appellent avec un certain air de dédain certains sénégalais. Senghor considérait la langue française comme un outil qui permet à l’Africain d’accéder à l’universel, de faire partie de cet universel. Il n’a jamais cesser de perfectionner le français. En témoigne, ce livre posé sur son bureau.

Devant la maison de Lépold Sédar Senghor
Devant la maison de Lépold Sédar Senghor

En parcourant les rayons de sa bibliothèque, rangée plus ou moins selon l’origine de l’auteur, on constate des livres sur la philosophie, comme le livre de Marcien Towa titré Essai sur la problématique de l’Afrique actuelle (1971), le livre Jean-François Revel, Pourquoi des philosophes suivi de la cabale des dévots ou celui d’Alexis Kagame, La philosophie Bantu comparée (1970). Des dictionnaires de mythologie, des livres sur l’administration publique, sur la religion et surtout des recueils de poèmes (même en chinois) ou des livres critiques sur la poésie.

Longtemps accusé par ses compatriotes d’avoir négligé la religion musulmane au profit de la religion catholique, Senghor plaçait ses livres sur Thérèse d’Avila aux côtés des livres sur l’islam. On y trouve des livres comme La pensée islamique et le monde moderne, Connaître l’islam, le personnalisme musulman et même un livre intitulé Séminaire islamo-chrétien

La bibliothèque personnelle de Léopold Sédar Senghor témoigne de son universalisme, de son pacifisme, de son amour pour l’Afrique et la langue française, et aussi de sa passion pour la poésie.


[Hors-série] Sommes-nous des marionnettes de l’Histoire ?

Les derniers attentats terroristes survenus en France en 2015, confirment que les Français vont devoir regarder l’avenir avec des yeux différents. C’est l’ancien président Nicolas Sarkozy qui le dit lui-même au lendemain des derniers attentats survenus le vendredi 13 novembre. « Rien ne doit plus être comme avant », a déclaré l’ancien chef de l’État.

marionnette
Crédit : dinardtourisme.com

Les événements historiques ont longtemps façonné le comportement des peuples. Les Français sont en train de faire aujourd’hui un revirement politique, si l’on suit les commentaires sur les réseaux sociaux et la côte de popularité de la présidente du parti Front National, Marine Le Pen. Face à l’extrémisme islamiste, une proportion, hélas, grandissante de Français se radicalise.

Si l’on regarde de près l’Histoire, on se rendra compte que les partis politiques qui prennent généralement le pouvoir bénéficient beaucoup plus des conditions historiques, politiques, que de la mise en place d’une stratégie politique de conquête du pouvoir. Le peuple choisi en fonction de ses besoins et de ses émotions courantes. C’est ce que craint la gauche, aujourd’hui, face à l’augmentation de la popularité du parti d’extrême droite, le Front National. Mais qu’y a-t-il à craindre effectivement ?

Marine Le Pen, est l’un des rares chefs de parti qui, si on l’invite 33 fois à une émission, tiendra le même discours 33 fois. Ses idées sont claires dans sa tête : anti-Europe, anti-immigration, nationalisme poussé à l’extrême, anti-mariage pour tous… C’est une femme cohérente. Mais, la gauche n’a pas peur de la cohérence de Marine Le Pen, mais de son « souverainisme » pour reprendre le mot du Président de la République française, François Hollande.

Si le FN accède en 2017 au pouvoir, la première chose qui en découlerait serait peut-être la sortie de la France de l’Euro et de l’Union européenne. C’est-là que cela devient grave. En effet, si l’Europe est aujourd’hui un échec monétaire, c’est un bon exemple de réussite politique. L’Union européenne n’avait pas au fond, une vocation monétaire. C’était de préférence une alliance, née après la deuxième Guerre mondiale, pour le maintien de la paix sur le continent. « Faire l’Europe pour ne plus faire la guerre », tel a été le leitmotiv des États fondateurs de l’Union Européenne. Ainsi, la France et l’Allemagne s’allient, laissant derrière elles une longue Histoire faite de guerres sanglantes. Quitter l’Europe pour combattre seul l’État islamique, c’est remettre en cause cette alliance. C’est pousser les autres pays de l’Union Européenne à se désolidariser des événements que connaît la France et qu’elle continuera à connaître. Choisir la guerre contre tous au lieu de consolider ses amitiés, c’est accepter d’être des marionnettes de l’Histoire ; c’est choisir son camp, la peur aux tripes, en fonction des faits historiques.


Les plumes francophones émergentes

La revue haïtienne Legs et Littérature lance un appel à contributions pour son 7ème numéro, consacré aux écrivains francophones émergents.

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Le début du 20ème siècle a vu naître dans l’espace francophone des écrivains qui ont marqué le monde entier : Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Léon-Gontran Damas, Camara Laye, Ida Faubert, Jacques Roumain, Édouard Glissant… La deuxième grande vague d’écrivains francophones est celle que nous connaissons aujourd’hui. En 2002, la revue Notre Librairie a publié un numéro spécial sur la nouvelle génération d’écrivains francophones dans lequel nous trouvons Dany Laferrière, Yanick Lahens, Alain Mabanckou, Ananda Devi… Cette « jeune génération » a un peu « vieilli » et domine actuellement la scène littéraire francophone. Qu’en est-il des écrivains de la nouvelle pépinière francophone ? Qu’est-ce qu’ils (elles) écrivent ? Comment sont-ils (elles) publié(e)s? Comment la critique littéraire les reçoit-elle ? Peut-on parler aujourd’hui d’une véritable émergence d’une nouvelle génération d’auteurs francophones ?

La revue Legs et Littérature se propose d’écrire l’histoire immédiate de la littérature francophone en suivant les plumes émergentes sans se limiter à la question de la langue. Le terme francophonie évoqué ici fait plutôt référence aux écrivains de l’espace géographique correspondant à la Francophonie qui écrivent en français et/ou dans leur langue maternelle.

Nous attendons des contributions théoriques sur les écrivains émergents, des textes de création (fiction et poésie), des portraits, des entretiens de ceux et celles qui deviendront les nouveaux et nouvelles auteur (e)s francophones dans les prochaines années.

Protocole de présentation et de soumission des textes :

L’auteur(e) devra envoyer sa contribution par courrier électronique en format Word tout en indiquant (1) son nom ou pseudonyme, le cas échéant, (2) titre universitaire, (3) courriel, (4) titre du texte ou premiers mots de chaque texte (5) notice biobibliographique ne dépassant pas 100 mots, (6) un résumé (Abstract) du texte ne dépassant pas 50 mots.

Longueur des textes
– 2500 à 5000 mots pour les textes critiques, entretiens avec des écrivains.
– 700 à 1000 mots pour les notes ou comptes rendus de lecture (sur les auteur(e)s émergent(e)s.
– Poèmes ou nouvelles en français : maximum 5 pages ou 5 poèmes.

La police de caractères exigée est le Times New Roman, taille 12 points, à un interligne et demi, et une taille de 10 points pour les notes en bas de page.

Titre du texte : le titre doit être en gras avec les titres des œuvres en italique. S’il comporte deux parties, utilisez deux points au lieu du soulignement. Exemple : Dire autrement : Traduction et réflexivité dans Corps mêlés de Marvin Victor ou encore Saisons sauvages et La Mal-Aimée : entre accusation de plagiat et intertextualité ?

Les références : toute citation doit être associée à un numéro de page (ex : p. 14). Les citations de moins de 5 lignes sont intégrées au texte et indiquées par des guillemets –sans italique. Allez à la ligne et utilisez l’alinéa pour les citations de plus de 5 lignes. Dans ce cas, il n’y a ni guillemets ni italique.

Bibliographie, Livre : Indiquer le nom de l’auteur (maj.), prénom (min.) suivi du titre de l’ouvrage (italique), collection (le cas échéant), lieu de l’édition, maison d’édition, année de publication. Ex : ROUMAIN, Jacques, Gouverneurs de la rosée, Paris, Les éditeurs français réunis, 1946.

S’il s’agit d’un livre publié plus d’une fois, il faut préciser l’édition consultée et l’année de la première publication mise entre crochets précédé du titre. Ex : ROUMAIN, Jacques, Gouverneurs de la rosée, [1944], Paris, Les éditeurs français réunis, 1946.

Chapitre d’un livre : Nom de l’auteur (maj.), Prénom (min.), titre du chapitre (entre guillemet), titre de l’œuvre (italique), ville, édition, année de publication.

Article de revue : Nom de l’auteur (maj.), Prénom (min.), titre de l’article (entre guillemet) nom du magazine, journal ou revue (en italique), volume, numéro, année de publication, pages consultées. Ex : KRASNER, Rebecca, « Dire autrement : Traduction et réflexivité dans Corps mêlés de Marvin Victor », Revue Legs et Littérature, No 4, juillet 2014, pp. 31-45.

Date limite : Envoyez vos propositions avant le 15 janvier 2016 à legsetlitterature@venez.fr


Colloque international sur Dany Laferrière à la Sorbonne

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Un colloque international baptisé « Poétiques de Dany Laferrière » est organisé autour de l’œuvre de l’écrivain Dany Laferrière, à l’université Paris-Sorbonne (Salle des Actes) du 16 au 17 octobre 2015. Patronné par l’Académie française, ce colloque accueillera des chercheurs venus de Québec, des Etats-Unis, d’Europe et d’Haïti.

Selon une note de presse publiée sur le site internet de l’université Paris-Sorbonne, ce sera l’occasion pour des spécialistes de se pencher « sur les poétiques de ce nouvel académicien venu des îles dont l’œuvre littéraire est l’une des plus importantes au début de notre XXIe siècle ».
Nous pouvons retenir dans le programme les interventions de Jean-Hérald Legagneur (université d’État d’Haïti et université Sorbonne-Nouvelle) sur « l’imaginaire pictural et fiction romanesque dans l’œuvre de Laferrière : contours esthétiques d’un écrivain primitif ». La professeure Christiane Ndiaye de l’université de Montréal est aussi attendue pour une causerie sur « l’autre monde : inventer le vécu avec les choses lues », ainsi que le critique universitaire Yves Chemla qui se penchera sur une « représentation de l’espace dans Le charme des après-midi sans fin de Dany Laferrière ».

Dany Laferrière, né le 13 avril 1953 à Port-au-Prince, a fui la dictature de Jean-Claude Duvalier en 1976, pour s’installer à Montréal. C’est là qu’il deviendra romancier. Il écrira son premier roman en 1985, un coup d’éclair dans le paysage littéraire québécois, « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ». Depuis, il se rend dans toutes les villes du monde, passant d’un salon à une conférence, jusqu’à siéger à la prestigieuse Académie française. Auteur de nombreux romans dont les plus connus sont « L’énigme du retour », « Le cri des oiseaux fous », « Chronique de la dérive douce », Dany Laferrière a reçu en 2009 le fameux prix Médicis (France).

Wébert Charles


Emmelie Prophète en lice pour le prix des Cinq continents

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La romancière et journaliste haïtienne Emmelie Prophète est finaliste pour le prix des Cinq continents de la francophonie. Son dernier roman, « Le bout du monde est une fenêtre », paru chez Mémoire d’encrier (Montréal), a retenu l’attention du jury de présélection.

Depuis le début du mois d’août, la rentrée littéraire s’annonce en France et,  avec elle, la publication des premières sélections des prestigieux prix littéraires d’automne. Les jury des prix Goncourt et Des Libraires ont déjà publié leurs selections. La première sélection des prix Médicis et Femina est attendue ce début de septembre. Le prix des Cinq cintinents de la francophonie, qui ne pèse pas moins dans la balance, a rendu publique  cette semaine la liste des 10 romans finalistes pour le prestigieux prix, véritable référence dans le milieu francophone. Dix romans différents, écrits par dix auteurs provenant de dix pays différents. Emmelie Prophète est donc en lice aux côtés des quelques grands noms de la littérature francophone et française, mais aussi aux côtés de jeunes espoirs : entre autres Laurent Gaudé (prix Goncourt), pour son roman « Danser les ombres » paru chez Actes Sud et le jeune talent de la littérature vénézuélienne Miguel Bonnefoy (prix du Jeune écrivain) que les critiques comparent à Marquez, pour son premier roman « Le voyage d’Octavio », chez Rivages.

Emmelie Prophète, née à Port-au-Prince en 1971, a commencé à publier des recueils de poèmes en 2000 chez les éditions Mémoire en Haïti. Auteur de 4 romans, tous parus chez Mémoire d’encrier, dont « Le testament des solitudes » (Prix ADELF 2009), la romancière est l’actuelle directrice de la Bibliothèque nationale d’Haïti et du Bureau haïtien du droit d’auteur.

Les 10 ouvrages finalistes

Le Bout du Monde est une fenêtre de Emmelie PROPHÈTE (Haïti) aux éditions Mémoire d’encrier (Canada-Québec)

Congo Inc : Le testament de Bismarck de In Koli Jean BOFANE (RDC) aux éditions Actes Sud (France)

Danser les ombres de Laurent GAUDÉ (France) aux éditions Actes Sud (France)

L’Inondation de Raluca ANTONESCU (Roumanie-Suisse) aux éditions La Baconnière (Suisse)

Les Fils du jour de Yahia BELASKRI (Algérie) aux éditions Vents d’Ailleurs (France)

Le Tao du tagueur de Serge OUAKNINE (Canada-Québec) aux éditions XYZ (Canada-Québec)

Terre ceinte de Mohamed Mbougar SARR (Sénégal) aux éditions Présence Africaine (France)

Traité de peaux de Catherine HARTON (Canada-Québec) aux éditions Marchand de feuilles (Canada-Québec)

La Trinité bantoue de Max LOBE (Cameroun) aux éditions Zoe (Suisse)

Le Voyage d’Octavio de Miguel BONNEFOY (Venezuela-France) aux éditions Rivages (France)

Le jury, présidé par Jean Marie Gustave Le Clezio (prix Nobel de littérature), se réunira à Bamako (Mali) à la fin du mois de novembre 2015 pour désigner le lauréat du prix des Cinq continents de la francophonie. Rappelons que l’écrivain algérien Kamel Daoud a été distingué l’année dernière pour son fameux roman « Meursault contre-enquête ».


Haïti, en littérature, les femmes ont la vie dure !

(c) Antony PHELPS
(c) Antony Phelps

Les femmes sont les grandes absentes de l’histoire littéraire du XIXe siècle haïtien. Sur les quelques écrivains répertoriés par les historiens officiels de la littérature haïtienne [Pradel Pompilus, Raphaël Berrou] durant la période 1804-1898, on ne fait mention d’aucune femme écrivaine, sinon de Virginie Sampeur (1893-1919). Mais certains historiens préfèrent la classer dans la catégorie des écrivains de La Ronde, c’est-à-dire au XXe siècle. Ces historiens « officiels » ont été mandatés par l’État pour doter la littérature haïtienne d’un manuel qui fera école, car tous les critiques « traditionnels » s’en sont inspiré, pour ne pas dire qu’ils l’ont copié.
Les critiques littéraires qui viendront par la suite n’ont malheureusement fait aucun effort pour lancer le débat sur la présence de certaines femmes écrivaines dans les premières périodes de la littérature haïtienne. La recherche sur la présence les écrivaines durant la période 1804-1898 menée par la collection Voix féminines de Legs édition sur son site Internet avance à petits pas. Il est toutefois difficile de remonter à des revues anciennes (entre 1804 et 1904) qui contiendraient un poème ou un conte d’une femme. Dans les premiers numéros de la revue La Ronde, par exemple, les femmes sont citées comme des collaboratrices. À la dernière page du deuxième numéro de La Ronde, on cite « Mme Virginie Sampeur, Mme Myriette, Mme C.L.F, Mlles Liane, Lily, Héchel, Bila, Luciole. Mme J.C.D, Miss Sonia, etc.»
Ce qu’il faut signaler ici, c’est que les femmes ne sont pas considérées comme membres de la rédaction de la revue La Ronde, elles sont des « collaboratrices » quand les hommes sont des « rédacteurs ». Elles sont toutes désignées par le titre « Mme, Mlle ou Miss », qui réduit un peu l’identité de la femme à un statut matrimonial. On ne dit pas, par exemple, dans ce même numéro, « M. Constantin Mayard ». Encore une chose à signaler : les responsables de la revue ne citent que les prénoms, parfois des initiales, non pas le nom complet de ces « collaboratrices ». Exception faite pour Virginie Sampeur. La mention « etc., etc. » laisse penser qu’il y a eu beaucoup de femmes à avoir collaboré à cette revue.  Il reste à savoir maintenant si ces femmes citées ici ont été toutes des écrivaines. La recherche a une longue route devant elle.

Les femmes au XXe siècle

Absentes durant tout le premier siècle de l’histoire officielle de la littérature haïtienne, les femmes seront méprisées, sous-évaluées, tout au long du XXe siècle. Le « Manuel illustré de l’histoire de la littérature haïtienne », sur près de 400 pages, ne fait mention que de six écrivaines : Virginie Sampeur, Jacqueline Beaugé, Janine Tavernier, Mona Rouzier, Marie Rose Perrier et Marie Vieux Chauvet. Les cinq premières sont évoquées en une ou deux phrases, parfois trois mots suffisent pour parler de la production littéraire de ces femmes. Dans le cas de Marie Vieux Chauvet dont la présentation fait moins de deux pages, c’est en ces termes que les auteurs parlent de celle qui deviendra la pionnière du roman moderne en Haïti : « Marie Vieux Chauvet écrit avec facilité. Mais son style manque généralement de force » (sic).

Le groupe Haïti littéraire qui a fait le bruit et la fureur dans les années 1960 en Haïti est, dans la tête du lecteur lambda, constitué que de cinq poètes : Anthony Phelps, Roland Morisseau, Serge Legagneur, René Philoctète et Davertige. Alors qu’au début du mouvement, les poétesses Janine Tavernier et Jacqueline Beaugé ont elles aussi publié dans la collection Haïti Littéraire. Une querelle s’est même éclatée avec le groupe Hougénikon au sujet de Jacqueline Beaugé. Si le lecteur lambda ne pense qu’à cinq hommes quand on évoque en sa présence le groupe Haïti Littéraire, il n’est évidemment pour rien. Dans un discours prononcé par Anthony Phelps sur le groupe à l’ambassade d’Haïti à Washington en 2005 (cf. Ile en Ile), Janine Tavernier et Jacqueline Beaugé sont considérées comme des satellites, et ceci au bas de l’échelle. Les femmes ont la vie dure en littérature.

La situation est-elle différente aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les femmes semblent trouver une place dans l’espace littéraire haïtien. La génération 1950, celle qui domine la littérature contemporaine depuis les années 1990, donne la parole à plusieurs écrivaines qui se font entendre au-delà des frontières, et ceci dans des genres différents : Yanick Lahens, Kettly Mars, Evelyne Trouillot, Marie Célie Agnant, Marie Alice Théard, Margaret Papillon, Elsie Suréna…

La nouvelle génération, qui est celle des années 1970, voit naître des auteures comme Emmelie Prophète, Jeanie Bogart, Stéphane Martelly. Mais que retiendra l’histoire littéraire ? Telle a été ma surprise de voir sur les réseaux sociaux une affiche évoquant les grandes figurent de la poésie haïtienne des années 1960 à nos jours de l’association Phrase ambulante, sans avoir fait mention d’au moins une femme. La critique littéraire a une grande responsabilité dans ce débat.