Quel usage faire de sa présence au monde. Lyonel Trouillot

Ce livre de l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot a frôlé le prix Goncourt en 2011. En effet, il était parmi les 15 livres présélectionnés par l’Académie Goncourt. Mais, le jury a préféré récompenser Alexis Jenni pour son premier roman L’Art français de la guerre. Un an plus tard, le prix littéraire franco-indien Gitanjali va couronner ce petit livre de 172 pages.
Je commencerai par vous dire que La belle amour humaine n’est pas un roman. Et ce n’est pas un antiroman non plus. Le genre romanesque ne convient pas à cette forme de discours qui sèche l’histoire. De telle sorte que le livre serait un récit sans histoire (voir Figures III, Gérard Genette). Un récit qui ne raconte pas. Ou un récit dont la caisse de résonnance n’est point l’histoire, mais le discours, le message. Si pour Ephraïm Lessing, la littérature est dans une démarche diachronique, La belle amour humaine est de l’ordre de l’instant. Même si pour son auteur « l’intemporel n’existe pas » Car « il y a toujours du temps. Même quand le temps se meut dans un temps arrêté » (p.159). Ici, il s’agit d’un temps figé, qui marche si lentement qu’il donne l’impression d’être immobile.
S’il y a une histoire dans ce petit livre, ce n’est pas celle d’Anaïse, ni de Thomas, voir même du peintre Frantz Jacob. Il ne faut pas s’y attendre. Attendez-vous plutôt à de longs monologues juxtaposés. A une belle leçon de vie, chassant paradoxalement le dialogue. Le parleur, pour reprendre un mot de Jean Paul Sartre, exclus la parole de l’autre, implicitement chez Trouillot. Du moins, dans la construction du « récit »
L’apologie du partage et du vivre-ensemble
La première partie du livre débute par un long discours de Thomas, le guide qui conduit Anaise à Anse-à-Fôleur. Si Anse-à-Fôleur se trouve à sept (7) heures de route de Port-au-Prince, le « radotage » de Thomas semble être plus long que la route. Thomas se plait à raconter tout ce qui lui passe par la tête, dans un monologue de fou. Des bruits de Klaxon de Port-au-Prince, aux histoires de ses clientes qui viennent à Port-au-Prince satisfaire leur fantasme sexuel. Tout y est. Mais, le personnage central de ce livre est, sans conteste, le village d’Anse-à-Fôleur. Village assez symbolique pour l’auteur, qui lui sert de creuset pour exposer sa leçon de vie. Celle du partage et du vivre-ensemble. Tout au long du livre, une question revient : « quel usage faire de sa présence au monde ?». En effet, le livre est une longue démonstration d’une philosophie de l’autre, qui a valu à son auteur d’être considéré comme un fin interprète de l’altérité, voyant dans l’autre non le prolongement de soi, mais un « moi » projeté hors de son corps.
Dans ce livre, Lyonel Trouillot n’a pas voulu nous raconter d’histoire. Heureusement. Pour cela, il y a la télévision, le cinéma. A quoi servirait le livre alors ? L’auteur se contente de toucher notre sens de l’altérité, du partage et du vivre-ensemble. La belle amour humaine est un livre qui braque ses projeteurs sur les habitants d’Anse à Fôleur, qui ressemble à un certain village en Inde, dans un certain roman de Dominique Lapierre. Je veux parler sans doute de la Cité de la joie, publié pour la première fois en 1985. Anse à Fôleur est plus qu’une cité de la joie. C’est un village où des analphabètes apprennent aux savants citadins à vivre dans la simplicité des choses.
Wébert Charles
10/10/2013
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