Wébert Charles

La mort du patriarche Gabriel Garcia Márquez

G.G. Marquez (c) colombie-passion.com
G.G. Marquez (c) colombie-passion.com

Premier coup de fil de ce 17 avril, il est 16 heures. Dans un bar de Port-au-Prince. Un ami sort de la salle d’accueil du petit resto de l’avenue Magloire Amboise et m’appelle. Je sais qu’ils font ça souvent, les amis. Pour m’annoncer un but de tel grand joueur. Un dribble. Ou une pénalité forcée. Mais, cette après-midi sous le soleil de plomb, une bière à la main, l’ami m’a dit : « Márquez est mort ». Et j’ai frappé trois coups sur la table, comme un ivrogne. Je ne savais pas pourquoi. Suis-je devenu ces automates condamnés à faire des gestes inconscients? Mais, que diable voulez-vous ! Márquez est mort.

Quelques minutes plus tard. Mon téléphone sonne. Un SMS. « Márquez mouri », écrit cet autre ami. Et j’ai senti la même chose, comme si ce grand écrivain pouvait mourir deux fois. Dans deux langues différentes. Dans deux situations. Une fois à la télé et une autre fois dans les méandres incalculables de la binarité de la communication. Mourir ou vivre. La vie, elle-même, n’est-elle pas un jeu binaire? A prendre à ou à laisser.

Au fait, Márquez, je ne savais pas si, en posant doucement tes « Cent ans de solitude » sur l’étagère de la bibliothèque ce matin, tu rendais l’âme dans un lit froid de Mexico. Depuis l’annonce de ton alitement, j’ai porté ce livre dans mon sac tous les jours. Pour te retenir en vie. Et te voilà mort sur mon étagère. Moi, toi. Toi, moi. Une bière à la main. Dans un pauvre bar de Port-au-Prince où la servante passe et repasse son balai sous mes pieds interminablement.

Wébert Charles


Le séisme du 12 janvier : des universitaires accusent

Ruines de la Cathédrale de Port-au-Prince (c) TV5 Monde

12 janvier 2010. Un séisme d’une magnitude 7.3 chevauche la ville de Port-au-Prince et ses environs. Elle explose, et les cadavres pleuvent.  316 000 morts (chiffre contesté par l’USAID). Et vous connaissez la suite. Ce que vous ignorez, peut-être, est que ce séisme n’est que la mauvaise parure qui cache des problèmes qui ont fermenté depuis plus de 500 ans. Et que des rapaces en ont profité pour s’enrichir et consolider leur système.

Pour éclairer  nos lanternes, des chercheurs, professeurs d’université, journalistes (près d’une cinquantaine) se sont penchés sur le séisme en l’analysant d’un œil fin. Ces travaux sont réunis par le professeur Mark Schuller et l’éditeur Pablo Morales en un volume de 368 pages, riche en informations et qui ne manque pas de dénoncer l’échec du néolibéralisme en Haïti.

Le livre « Tectonic Shifts », publié aux Etats-Unis en 2012, est repris dans une traduction en créole par le linguiste Avin Jean François, sous le titre « Deplasman Tektonik ». Divisé en trois parties, le livre offre une réflexion profonde sur la catastrophe meurtrière de janvier 2010.

La naissance d’un séisme économique

Selon les coordonnateurs de l’ouvrage, les efforts des Haïtiens eux-mêmes après le séisme ont été absents du débat international. L’altérité des Haïtiens qui s’entraidaient les premières secondes après le désastre, n’a pas fait la une des journaux internationaux. Ce sont plutôt les images sales, les cadavres en décomposition, les enfants abandonnés que les médias ont offerts durant trois semaines à l’étranger, pour déchaîner la compassion des citoyens charitables. Cette technique, quoiqu’avilissante pour nous, avait permis d’amasser plus de 1,4 milliard de dollars aux Etats-Unis. Reste à savoir quel usage on a fait de cet argent. Kevin Edmonds, étudiant en maîtrise à l’université de Toronto (Canada), reprend les statistiques de l’  « Associated Press » : 33 % de l’aide américaine pour le relèvement sont allés droit à l’Armée américaine (US Army). Les ONG en ont reçu de leur côté 43 %.

Toujours selon l’auteur qui dénonce le « business de la pauvreté en Haïti », « la Croix-Rouge américaine a amassé $ 225 millions de donations privées ». Cependant, « seulement 106 millions sont dépensés en Haiti, soit moins que la moitié, 18 mois après le séisme ».

De leur coté, Ansel Herz et Kim Ives mettent les projecteurs sur l’arrogance des firmes internationales, s’occupant de leur butin, pendant que les pauvres gens meurent sous les décombres. Les auteurs ont repris un  « texte secret » (dévoilé par WikiLeaks) de Kenneth Merten, alors ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, pour qui « la ruée vers l’or est lancée » en Haïti. Les auteurs affirment que l’ancien ambassadeur aurait écrit: «  Pendan Ayisyen yo ap fouye dekonb tranblemann tè a, anpil konpayi ameriken ap vini pou vann konsèp yo, pwodui yo ak sèvis yo ».

Isabeau Doucet et Isabel Macdonald, pour leur part, ont pointé du doigt  la Fondation Clinton qui illustrerait bien le « désastre du capitalisme ». Selon les auteurs, « Fondasyon Clinton pwopoze pwojè a, li finanse li et li egzekite li ». Ils dénoncent la mauvaise gestion du projet et affirment que ce projet était voué à l’échec.

Un séisme profond

Pour les auteurs de cet ouvrage, il ne s’agit pas uniquement des Etats-Unis. Anthony Olivier-Smith, anthropologue, pense que le séisme du 12 janvier se fermente depuis 500 ans. Ce n’est pas un accident. Ni un jugement de Dieu.  Les causes sont liées à l’histoire.

L’anthropologue fait une belle démonstration pour illustrer sa thèse. Partant de la mort des Taynos (les premiers habitants de l’île), il questionne l’histoire. Fouille. Et réfléchit. Selon lui, après la mort des Taynos, les Français arrivent sur l’île 125 ans après avoir imposé l’esclavage aux Africains qu’ils ont eux-mêmes fait venir à Saint-Domingue. En 1804, ces esclaves se déclarent libres. De là est née la vulnérabilité du pays. Les Français demandent à être dédommagés. En 1825, les Haïtiens s’endettent et s’appauvrissent pour payer cette indemnité.  En 1915, les Etats-Unis occupent le sol. Pillent les richesses du pays. Sous le gouvernement des Duvalier (1957-1986), les cochons créoles, principale richesse des paysans, sont tués. Les paysans deviennent plus pauvres. Le FMI réduit le tarif des importations. Les produits agricoles internationaux envahissent le marché. Le dernier recours des paysans est de laisser leurs terres pour venir construire des bidonvilles à Port-au-Prince. Constructions anarchiques. Tremblement de terre. Désastre. 316 000 morts. Selon Yolette Etienne, 86 % des maisons détruites ont été construites à partir de 1990.

Les causes, comme on le voit, paraissent plus profondes qu’une simple faille tectonique.  Par ce livre, les universitaires (étrangers et haïtiens) veulent informer le plus grand nombre sur les questions qui les concernent. Voilà pourquoi ils offrent, avant l’édition française, une version en créole. Pour que les gens du peuple la lisent. Des argumentations discutables certes, mais qui sont bien construites. Un livre qui ne plaira pas, il faut le dire.

Wébert Charles


Alléluia pour l’École nationale des arts

Le 2 décembre 2013, l’École nationale des arts (Enarts) a accueilli sa nouvelle promotion d’étudiants. Placée sous la tutelle du ministère de la Culture, elle est l’unique école d’art du pays. Quoique manquant de moyens, les étudiantes et étudiants font en sorte que chaque jour soit une fête et ne ratent pas l’occasion de partager ce sentiment.

Quelques étudiants de l'Enarts
Quelques étudiants de l’Enarts

Jeudi 6 février.  Même décor, à la rue Monseigneur Guilloux. Dans la promiscuité des passants qui vont et viennent à un rythme irrégulier, des librairies à même le sol, des marchandes de fritures et des chauffeurs de taxi, certains étudiants de l’École nationale des arts se réunissent au gré du hasard pour s’offrir un après-midi rythmé de battements de tambours. Détrompez-vous ! Il ne s’agit pas de carnaval, ni de ces activités périodiques organisées par des institutions, dans un cadre formel. Des étudiants se réunissent, en un après-midi surchauffé, comme la pluie se décide à tomber ou pas, en plein soleil.

L’art est dans la rue

Il n’est pas encore 4h de l’après-midi quand Etzer, professeur d’arts plastiques, Junior et Kebyesou décident de traîner derrière eux tambours, tchatcha et autres instruments afin d’offrir un concert en plein air, en pleine rue. La culture est dans la rue, pensent certains, et les étudiants le prouvent si bien. Ils laissent les murs fermés de l’école et s’installent devant la porte d’entrée.

Bientôt des étudiants de la faculté d’ethnologie rejoignent le cercle. La tension monte. Et les tambours se font de plus en plus percutants. Comme on le sait, les Haïtiens sont sensibles au son du tambour. Et c’est Jean Price Mars qui le dit lui-même : «l’Haïtien est un peuple qui danse, qui chante… au rythme du tambour». Soudain, les passants rejettent leur statut de passant. Pour  prendre part au concert improvisé. Certains tapent les mains, d’autres ont su trouver je ne sais où des instruments. Les tchatcha se partagent et se départagent, et les tours de jambes aussi. Les chauffeurs de bus ralentissent pour jouir même quelques secondes de la partie. Les libraires des trottoirs abandonnent leurs livres. Les marchandes dansent. Chantent. Bougent. Au gré du son des tambours. Le samba Billy, un étudiant finissant, tchatcha en main, rythme la partie de sa voix. Il entonne des chansons traditionnelles du registre du vaudou. Tout chante, enchante et laisse sous le pas des spectateurs un doux tangage. La vie est une fête. Les étudiants de l’Enarts l’ont bien compris.

Un mois après l’accueil de la nouvelle promotion de l’École nationale des arts, les cours vont bon train, selon Fedna David, une étudiante en année préparatoire. « J’ai abandonné des études de journalisme pour entrer à l’École nationale des arts et je ne regrette rien. » Cheveux courts, style afro, elle se laisse prendre dans les retentissements des tambours. Mervens et Urbain Jérôme, deux frères qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, viennent tout droit de Petite-Rivière de l’Artibonite pour faire des études en théâtre à l’Enarts. Ils disent aimer la vie en famille, le sens de partage des étudiants.

Entre-temps, les rythmes changent à une vitesse incalculable. La sueur monte et le plaisir avec elle. Non loin de l’Enarts se trouve l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (Hueh). Des gens y meurent tous les jours, certes, la situation des malades est déplorable.  Mais dehors, les jeunes ne sombrent pas dans le désespoir. Ils chantent et dansent dans un contraste saisissant.

 

Wébert Charles


Corps et Âme : repenser le discours sur le genre par le théâtre

Dans le cadre de sa tournée dans plusieurs universités du pays, la troupe Corps et Âme s’est produite ce vendredi 7 février à la Faculté des sciences humaines. Gaëlle Bien-Aimé et Katianna Milfort ont joué « Le genre & le nombre » dans une atmosphère très conviviale.

Vue de la pièce
Vue de la pièce

« Pourquoi tu me parles de pénis, Katia ? » La question est tombée brusquement sur la cour de la Faculté des sciences humaines cet après-midi de 7 février. Et je vous laisse imaginer le comportement des centaines d’étudiants, debout, pour la plupart, dès 1h 30 p.m. et qui vont passer 30 minutes avec la troupe Corps et Âme. « Le genre & le nombre » est une pièce qui met en scène deux étudiantes, Gaëlle et Katia, planchant sur un devoir. Comme vous le savez, dans ces séances de travail en groupe, on finit toujours par aborder d’autres sujets. Dans le cas de Gaëlle et de Katia, il s’agit de sexe. Non pas d’érotisme, dans le sens sadien du terme « sexe », mais du genre, ou des genres. La domination du masculin est vite passée au crible de la critique et du bon sens des deux personnages.

De l’éducation sexuelle à la révolte

La pièce est très originale. Deux personnages y jouent, à la Vladimir et Estragon dans la pièce « En attendant Godot » de Samuel Beckett. Mais, il ne s’agit pas de théâtre absurde, ni de deux individus qui attendent un dieu, les bras croisés. Mais deux femmes, qui décident d’aller au fond de la perception du sexe fort, ce que Nadine Magloire appelle « Le sexe mythique » : le masculin. Katia, rêvant d’une enfant, pense à son éducation sexuelle pour qu’elle ne souffre point, comme sa mère, de la peur des hommes.

Les relations entre mère et fille sont analysées, les traditions et les jeux enfantins sont revus à la loupe de l’égalité et de la justice. Gaëlle et Katia mettent tour à tour en scène des personnages qu’elles incarnent. Ce qui fait penser que le théâtre est lui-même un théâtre, un théâtre dans le théâtre, comme on parle de récit dans le récit en narratologie ou de mise en abîme.  Gaëlle devient spectatrice quand Katia joue et vice-versa.

Ce procédé a permis aux personnages d’être plus près des problèmes abordés : de la manifestation des femmes qui revendiquent leur liberté d’atteindre l’orgasme, déclarant même « Tout tan revandikasyon nou pa pase nou pap pran bwa », jusqu’à un bouleversement radical de la structure de la société machiste…

Une réussite

Le public a été très enthousiaste d’assister à la pièce. Les étudiants n’ont pas caché leur satisfaction. Après la représentation, des étudiants rencontrés sur la cour de la faculté nous ont dit prendre conscience de la situation. C’est le cas de Hadson Albert, étudiant finissant en Communication sociale à la Faculté des sciences humaines. « Je suis très satisfait de la représentation. Je n’ai aucun problème avec les revendications des femmes malgré que je suis un homme ». Pour Etienne Jean Rollet, étudiant en psychologie, intéressé à la sexualité et aux représentations sur le genre : « En tant  qu’homme qui est allé à l’école, je pense que la revendication des femmes est juste. Je suis pour l’égalité des genres ».

La deuxième représentation de « Le genre & le nombre » à la Faculté des sciences humaines a été une réussite, malgré certaines imperfections dans la sonorisation. Mais ceci n’a pas diminué la beauté et surtout la portée sociologique de la pièce.

Wébert Charles

 


Au revoir Laborde (carnet de voyage)

Notre Dame de Lourdes (c) Webert Charles
Notre Dame de Lourdes
(c) Webert Charles

Laborde est un petit quartier dans le département du Sud d’Haïti, plus précisément aux Cayes, à quelques minutes de Quatre-Chemins. Au tournant, à droite, nous avons pris la route qui mène à Jérémie. Après avoir laissé derrière nous l’aéroport Antoine Simon, nous voilà déjà perdus dans les arbres et dans l’odeur des feuilles mortes et des cactus en feu. Ici, tout a un nom. Tout chante et enchante. Et les petites filles ont le nom des grandes villes.

Nous nous sommes arrêtés en face de Radio Communautaire de Laborde. Une ancienne maison accotée à la cathédrale Notre-Dame de Lourdes. La brise nous accueille et nous berce de son chant matinal. Et l’inconnu s’annonce déjà avec une odeur de café.

L’église Notre-Dame de Lourdes abrite une école pour les petits enfants, et le chant des oiseaux traverse la balustrade pour nous étreindre. Dans la grande cour de l’église, on découvre une grotte qui, selon la légende, mènerait à la ville des Cayes. L’atmosphère est légère et nous suivons de près la course des enfants de l’école Notre-Dame de Lourdes pendant les heures de récréation.

Tous pour l’environnement

Non loin de notre point de repère se trouve une association socioprofessionnelle, formée par des cadres (agronomes, sociologues,ingénieurs) venant pour la plupart des Cayes : ACAPE, Association des cadres pour la protection de l’environnement. Elle évolue dans le quartier de Laborde depuis août 2006 et possède des embranchements dans plusieurs zones de la commune. Le local de l’ACAPE est entouré d’avocatiers, de cerisiers et d’épis de maïs. On y fait la connaissance de Raymond Delinois, de Miliane Mombrun et de Wilner Louis du comité de direction de l’association. L’objectif d’ACAPE, selon son directeur Raymond Delinois, est « de travailler pour embellir et protéger les ressources naturelles des Cayes afin de conserver l’environnement et de donner un appui aux agriculteurs dans le système d’agriculture durable ».

ACAPE(c) Webert Charles
ACAPE
(c) Webert Charles

L’association travaille avec plus de 450 familles d’agriculteurs (fermiers ou exploitants) en organisant des séances de formation facilitant l’appropriation des nouvelles techniques visant à protéger l’environnement, mais aussi dans la réutilisation des déchets organiques. Elle forme également plus de 110 écoliers, selon la coordonnatrice de projets, l’agronome Miliane Mombrun. Les enfants sont formés dans l’amour de l’environnement et aident leurs parents dans leurs différentes activités.

L’ACAPE est en train de monter un programme de production et de plantation de 50 000 plantules aux Cayes. Pour ce faire, elle est financée par le PNUD et une institution allemande. Elle reçoit aussi des financements du FAO et d’une ONG évoluant à Boston: Haiti Funds.

La petite usine de cassave

A quelques mètres du local d’ACAPE, à Kodère, se trouve une cassaverie. Petite industrie bien entretenue où l’on voit le four, les moteurs et l’appareil de séchage des cassaves. L’odeur du manioc nous accueille dès l’entrée de la petite usine. Mme Vita Jeune nous parle de son fonctionnement et de la fabrication des cassaves.

Cassaverie
Cassaverie

Le processus est simple, selon elle. Il suffit de moudre le manioc, le sécher, laisser l’eau alimenter les jardins du coin, puis l’installer au four. Et les cassaves sont déjà prêtes à fondre sous notre langue avec ou sans beurre de cacahuètes. Elles sont vendues dans toute la ville des Cayes et, parfois, à Port-au-Prince.

 

S’il existe un village au monde où l’on a vite appris la générosité, l’amour du travail et la solidarité, c’est Laborde. Les enfants sont toujours partants pour vous chanter leur hymne à l’amour et à la joie. Les arbres vous protègent des rayons du soleil et l’ombre vous tient au frais jusqu’à la sortie du quartier. Sur la route de Jérémie, nous avons dit « au revoir Laborde » avec un mystérieux sourire sur les lèvres, sachant que les villes ne finissent jamais de traverser les passants.

 

Webert Charles


Jean René Lemoine récompensé par l’Académie française

Jean Rene Lemoine
Jean Rene Lemoine

 

Le dramaturge haïtien Jean René Lemoine a reçu le jeudi 5 décembre 2013 le prix Emile Augier de l’Académie française pour ses pièces « Iphigénie » et «In mémoriam », parues en un volume aux éditions Les Solitaires intempestifs, en France. Ce prix, constitué en 1994 par les Fondations Émile Augier, Brieux, Paul Hervieu et Soussay, récompense tous les ans un dramaturge.

Les Haïtiens sont en train de se frayer des passages sous la Coupole. Une chose que nous devons bien savoir sur l’Académie française, c’est qu’elle ne fait pas qu’élire des immortels. Elle décerne plus d’une trentaine de prix dans le domaine de la philosophie, de la littérature, de l’histoire et de la sociologie. Une semaine avant l’élection de Dany Laferrière au fauteuil # 2, Jean René Lemoine a été récompensé par cette même académie pour « Iphigénie » et « In mémoriam ». Selon la présentation de l’éditeur, « récits à la fois intimes et mythologiques‚ Iphigénie et In memoriam sondent la puissance et la fragilité de l’être face à l’écroulement des mondes »

Né en Haïti en 1959, Jean René Lemoine a passé son enfance au Zaïre. Dramaturge, metteur en scène, fondateur de la compagnie de théatre Erzuli, il a déjà reçu le Prix SACD en 2009 pour sa pièce « Erzuli Dahomey, déesse de l’amour ». Trois ans plus tard, cette pièce entrera dans le répertoire de la Comédie-Française, faisant de son auteur le premier et le seul dramaturge haïtien présent dans ce répertoire. Parmi ses publications, on peut citer : L’Adoration, (2003), Ecchymose (2005), Face à la mer (2006). Il vit à Paris depuis 1989 et sera à l’Institut français en Haïti (IFH) en janvier 2014 pour une représentation d’Iphigénie, selon une information publiée par l’IFH le mercredi 18 décembre 2013.

 

Webert Charles

webertcharles@lenouvelliste.com


Non, nous ne sommes pas maudits !

(c) Webert Charles
Dany Laferrière à la Fokal (Haïti)
(c)

 

Cet après-midi, je suis allé voir Dany Laferrière à la Fokal. Vous savez, le petit-fils de Da vient juste d’être élu à la prestigieuse Académie française. A la vue de cet homme singulier, je n’ai pas pu étouffer la montée de l’émotion, comme une éruption de joie et de fierté. Au fait, ce n’est pas Dany Laferrière que j’ai vu, ce jeudi 12 décembre. C’est plutôt un homme fait d’autres hommes et d’autres femmes, de ses relations, de ses lectures. C’est Gasner Raymond, son confrère journaliste au Petit samedi soir, assassiné par les sbires de Duvalier ; c’est son père Windsor Laferrière, mort à New York ; c’est Pierre Clitandre, l’un de ses premiers collaborateurs ; c’est Henry Miller, un de ses écrivains préférés ; c’est Da, sa grand-mère, qui lui a donné à Petit-Gôave le goût des choses simples, mais combien essentielles. Tous ces hommes et toutes ces femmes morts ou vivants ont pris place chez cet homme singulier.

Dany, c’est aussi cette jeune adolescente assise sur une marche du perron dans le couloir de la Fokal, un livre dans les mains, faute de ne pas pouvoir entrer à la salle Unesco, rêvant sans doute de conquête, comme si la littérature était sa seule porte de sortie, une question de vie ou de mort. Le rêve de la jeunesse haïtienne, ce jeudi 12 décembre, a pris un tournant décisif. Dany devient cet homme qui porte en lui l’âme de la jeunesse comme un étendard. Mais, comment peut-on être tout cela en même temps et sourire humblement ?

Un homme qui a vécu en exil au Québec et qui a intégré cette société jusqu’à devenir une fierté pour les deux peuples qui le partagent calmement et qui apprennent à se découvrir l’un et l’autre. Un homme qui a visité presque tous les continents du monde, qui est entré dans le dictionnaire Larousse et qui a reçu le prestigieux prix Médicis en 2009 pour son « Énigme du retour », comme si la vie ne lui suffisait pas, le voilà Immortel. Et demeure avec lui l’espoir de toute une jeunesse d’écrivains ou d’artistes.

Il nous a fallu vivre un après-midi comme celui-ci pour croire que nous ne vivons pas une crise de modèles, qu’il n’existe pas uniquement dans le pays des bouleversements politiques, des refrains coutumiers de coups d’Etat, des éternelles polémiques entre partisans du pouvoir et opposants, des cyclones, des tremblements de terre, la dénationalisation des Dominicains d’origine haïtienne nés à partir de 1929 suite à l’arrêt de la Cour constitutionnelle… Dany nous apprend, contrairement à ce que croient certains jeunes déboussolés, que non, nous ne sommes pas maudits !

 

webertcharles@lenouvelliste.com


Dany Laferrière à l’Académie française

Dany L. Par Dieulermesson PETIT FRERE
Dany L. Par Dieulermesson PETIT FRERE

Dany Laferrière, de son vrai nom Windsor Klébert Laferrière, est élu à l’Académie française. Avec 13 voix contre 23, il devient jusqu’à date, après Léopold Sédar Senghor –le poète-président- le deuxième noir ou plutôt le deuxième descendant africain à rentrer dans cette prestigieuse institution vieille de 7 siècles et plus. Le petit-fils de Da remplace Hector Bianciotti (fauteuil 2), décédé le 12 juin 2012. L’histoire retiendra que l’auteur de ‘‘L’énigme du retour’’ –roman ayant reçu le Prix Médicis en 2009- est entré à l’Académie sans se fatiguer. Contrairement à de grandes figures de la littérature française figures entres autres Zola, Hugo qui se sont vus recaler à plusieurs reprises avant de se voir accorder l’entrée.

 

A la réception de sa lettre de candidature, enthousiaste, le quotidien français Le Figaro a fait savoir que ‘‘C’est une candidature de poids et un profil rare que vient d’enregistrer l’Académie française’’. Dany Laferrière marche sur les pas d’écrivains célèbres comme Montesquieu, Alexandre Dumas Fils qui ont occupé, dans le passé, le fauteuil 2 à l’Académie.

 

Auteur de plus d’une vingtaine de romans, essais et biographies, l’auteur du ‘‘Journal d’un écrivain en pyjama’’ a déjà reçu plus d’une dizaine de distinctions les unes plus prestigieuses que les autres. Lauréat du Prix Carbet en 1991, de la première édition du Prix Carbet des Lycéens en 2000 et du Prix RFO du Livre en 2002 pour la nouvelle édition de son roman, ‘‘Cette Grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ?’’.  Docteur honoris causa de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Dany Laferrière est né le 13 avril 1953 à Port-au-Prince. Il passe son enfance à Petit-Goâve avec sa grand-mère Da, source d’inspiration de son roman, L’odeur du café. Journaliste au Petit Samedi Soir, il quitte Haïti pour Montréal en 1976, à la suite de l’assassinat de son ami Gasner Raymond, journaliste également au Petit Samedi soir.

 

C’est là, à Montréal, qu’il connaîtra le succès en 1985 avec la publication de son premier roman, ‘‘Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer’’. Ce roman a été traduit en 14 langues. Le cinéaste Jacques Benoît en a fait une adaptation 4 ans plus tard. A la même époque, il fait, à la télévision, office de critique et chroniqueur culturel. Mis à part son activité littéraire, Dany Laferrière est également scénariste et réalisateur. En 2004, il a transformé son roman ‘‘Le Goût des jeunes filles’’ en scénario pour le film réalisé en 2004 par John L’Écuyer. Son premier film ‘‘Comment conquérir l’Amérique en une nuit’’, qui fait croiser ses deux ‘‘univers’’ à savoir Montréal et Port-au-Prince est primé au Festival des Films du Monde à Montréal en septembre 2004.

 

Laferrière a vécu une douzaine d’années à Miami avant de se réinstaller à Montréal en 2002. Après la parution en 2013 de Journal d’un écrivain en pyjama, Dany Laferrière préside ‘‘Les rencontres québécoises en Haïti’’ à l’occasion des 10 ans des éditions mémoires d’encrier. Une activité littéraire visant à créer des ponts entre les écrivains haïtiens et québécois tout en faisant découvrir la littérature québécoise dans ce pays qui ne jure d’être toujours debout que par sa culture, comme il l’avait lui-même fait remarquer.

 

Fondée en 1635 par le cardinal de Richelieu, l’Académie française est composée de 40 membres élus à vie par leurs pairs dont leur mission est de fixer la langue française, de lui donner des règles et de la rendre pure et compréhensible par tous. Depuis sa fondation, elle a reçu en son sein plus de 700 membres dont des poètes, des romanciers, des hommes de théâtre, des philosophes, des historiens, des médecins, des hommes de science, des critiques d’art, des militaires, des hommes d’État et des hommes d’Église qui ont tous illustré particulièrement la langue française.

 

Dieulermesson PETIT FRERE


Retour sur les Prix littéraires d’Automne en France

 

L’Automne, on le sait, est la saison des feuilles mortes. Mais aussi c’est la  saison des Prix littéraires. La ruée vers le succès est tout aussi profitable pour les écrivains que pour les éditeurs. Pour ceux qui n’ont pas suivi les évènements, voici un résumé des plus prestigieux Prix littéraires français.

Les laureats des Prix Goncourt, Femina et Renaudot
Les laureats des Prix Goncourt, Femina et Renaudot

 

 

 

 

 

 

 

Les Prix Goncourt

Les Prix Goncourt ont récompensé cette année :

–          Pierre Lemaitre, pour son roman « Au revoir là haut » (Ed. Albin Michel). Prix Goncourt 2013

–          Sorj Chalandon, « Quatrième mur » (Ed. Grasset). Goncourt des Lycéens 2013

 

Les Prix Médicis

Les jurys des Prix Médicis ont récompensé :

–          Marie Darrieussecq pour son roman « Il faut beaucoup aimer les hommes » (Ed. P.O.L) Prix Médicis 2013

–          Toine Heijmans (Néerlandais). PRIX Médicis étranger 2013, pour son roman « En mer » (Ed. Christian Bourgois)

–          Svetlana Alexievitch (Russe) pour son essai « La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement » (Ed. Actes Sud). Prix Meilleur Essai 2013.

 

Les Prix Femina

–          Léonora Miano (Camerounaise), « Saison de l’ombre » (Ed. Grasset). Prix Femina 2013

–          Richard Ford (Canadien), « L’Amérique est dans la merde » (Ed. de l’Olivier). Prix du roman étranger

–          Jean-Paul et Raphael Enthoven, « Dictionnaire amoureux de Proust » (Plon/Grasset)

 

Grand Prix de l’Académie Française

–          Christophe Ono-Dit-Biot, « Plonger » (Ed. Gallimard)

 

Les Prix Renaudot 2013

–          Yann Moix, « Naissance » (Ed. Grasset). Prix Renaudot 2013

–          Gabriel Matzneff, « Séraphin c’est la fin » (Ed. La table ronde). Prix Renaudot Essai 2013

 

Prix Virilo

–          Celine Minard, « Faillir être flingué » (Ed. Rivages)

 

Prix Flores

–          Monica Sabolo, « Tout cela n’a rien avoir avec moi » (Ed. J-C. Lattès)

 

Prix Décembre 2013

–          Mael Renouard, « La réforme de l’opéra de Pékin » (Ed. Payot/Rivages)

 

Prix Wepler 2013

–          Marcel Cohen, « Sur la scène intérieure : Faits » ( Ed.Gallimard)  Prix Wepler 2013

–          Philipe Rahmy, « Béton armé – Shanghai au corps à corps » (Ed. La table ronde) Mention spécial du Jury

 

Prix Interaillié 2013

–          Nelly Alard, « Moment d’un couple » (Ed. Gallimard)

 

Prix Jean Giono 2013

–          Pierre Jourde, « La première pierre » (Ed. Gallimard)

 

Wébert Charles


Leonora Miano, lauréate du prix Femina 2013

Leonora Miano
Leonora Miano

Le prix Femina 2013 a été décerné à l’écrivaine camerounaise Léonora Miano pour son roman « La saison des ombres » –publié aux éditions Grasset- lequel porte sur une sombre aventure de la traite négrière. « C’est un grand roman avec un souffle romanesque captivant. Nous avons affaire à un grand écrivain. Elle a l’avenir pour elle », a précisé Diane de Margerie, la présidente du jury. Le roman a aussi remporté le Grand prix du Roman Métis attribué le lundi 4 novembre dans la ville de Saint-Denis de la Réunion.

Née à Douala, au Cameroun, en 1973, d’un père pharmacien et d’une mère proviseur de lycée, Léonora Miano vit en France. Elle est issue d’une famille de classe moyenne, de parents amoureux de livres. Installée dans la République tricolore depuis 1991 où elle était venue poursuivre des études en lettres anglo-américaines, elle a publié son premier roman « L’intérieur de la nuit » en 2005 chez Plon, éditeur qui l’a propulsée au-devant de la scène littéraire francophone. Roman qui a reçu, à lui seul, 6 prix dont le Prix Louis Guilloux en 2006, le « prix Montalembert du premier roman de femme » en 2006, le « prix René Fallet » en 2006, le ‘‘prix Bernard Palissy » en 2006 et le « prix de l’excellence camerounaise » en 2007.

Avec déjà sept romans à son actif, un texte théâtral et un recueil d’essais, Miano s’est imposée comme une voix singulière qui fait entendre à travers ses livres graves et dérangeants les tribulations d’une Afrique méconnue. Elle est une romancière qui culmine les prix. En 2011, elle a aussi notamment reçu le Grand prix littéraire d’Afrique noire pour « Blues pour l’Afrique » et  »Ces âmes chagrines ».

Par ailleurs, le Femina du meilleur roman étranger a été décerné au romancier américain Richard Ford pour « Canada » paru chez l’Olivier, un roman sur la fin de l’innocence et la jeunesse perdue. Le prix Femina de l’Essai a été attribué à Jean-Paul et Raphaël Enthoven, philosophe et présentateur depuis 2008 de l’émission Philosophie sur Arte TV, pour le « Dictionnaire amoureux de Proust » (Plon/Grasset).

Dieulermesson PETIT FRERE