Wébert Charles

Sade moraliste !

Le Marquis de Sade
Le Marquis de Sade

Ceci n’est pas un oxymore, encore moins une formule trompeuse. C’est le titre d’un livre de Jean-Baptiste J. Vilmer. Loin de nous l’idée d’un marquis de Sade indigent, criminel, prisonnier qui fait l’apologie du crime et du vice dans « Justine ou les malheurs de la vertu » ou de la « déviance » dans « La philosophie dans le boudoir ». Sade est un fin moraliste, et c’est ce que confirme son recueil de nouvelles « Les crimes de l’amour ».

Composé en prison vers la fin de 1787, ce recueil, repris en cinq nouvelles par les éditions de Saint-Clair en 1974, ne manquera pas de surprendre, voire de décevoir, quelques-uns. Dans les dernières phrases de la nouvelle « Faxelange ou les torts de l’ambition », l’auteur avoue : « Puisse le récit de cette histoire rendre les uns plus justes, et les autres plus sages ! Nous ne regretterons pas alors la peine que nous aurons prise de transmettre à la postérité un événement qui, tout affreux qu’il est, pourrait alors servir au bien des hommes » (p. 51). Une citation pas sadique du tout ! En effet, cette nouvelle met en scène une jeune fille de seize ans, Mlle de Faxelange, que sa famille pousse dans les bras d’un prétendu baron, très riche et qui, en réalité, est un brigand, le chef d’une bande de criminels forcenés. Au bout de quelques jours, il entraîne sa femme dans sa bande et l’initie, malgré elle, au crime, jusqu’à ce que son ancien amant vienne la délivrer des mains de cet escroc.

Le dessein de Sade semblait ne pas être trop loin de celui de La Fontaine (vous me pardonnerez cette comparaison, mais La Fontaine a, lui aussi, écrit des contes coquins). Dans la nouvelle « Eugénie de Franval », Sade écrit dans l’incipit « Instruire l’homme et corriger ses mœurs, tel est le seul motif que nous nous proposons dans cette anecdote » (p. 163).

Les autres récits s’inscrivent également dans cette nécessité d’apprendre, d’améliorer, de « servir au bien des hommes » et de « corriger », pour reprendre les expressions de l’auteur. Toute l’œuvre de Sade est une perpétuelle lutte entre le vice et la vertu. Comme le témoignage « Justine ou les malheurs de la vertu » ou encore la deuxième nouvelle du recueil, « Florville et Courval ou le fatalisme ». Florville, sur le point d’épouser le riche Courval, lui raconte ses mésaventures dans un premier temps chez Mme de Verquin (la vicieuse) et dans un second temps chez Mme Lerince (la pieuse et la vertueuse).

Si le vice finit souvent par l’emporter dans l’univers romanesque de Sade, il ne faut en aucun cas acculer l’auteur, qui, le seul de sa génération, a  satisfait à ce que René Girard appellera plus tard l’écriture romanesque (récit romanesque), par opposition au récit romantique. Un récit qui décrit l’homme dans sa vérité essentielle.

 

Wébert Charles


« Les arbres du Sud portent un étrange fruit »

Illustration de Strange Fuit
Illustration de Strange Fuit

La chanson « Strange Fruit » est un classique du jazz interprété par la chanteuse de talent Billie Holiday vers la fin des années 1930. Au moment où la brutalité et les crimes contre les Noirs aux États-Unis reviennent en force, dont le dernier à Charleston (Caroline du Sud) ayant fait neuf  morts dans une église de la communauté noire, nous vous proposons de faire cette plongée dans le temps, où les arbres portaient un étrange fruit.

Il ne fait aucun doute que la mise en chanson du poème, « Strange Fruit », écrit par le compositeur Lewis Allan en 1937 et interprété par Billie Holiday en 1939, a contribué à faire connaître la cantatrice dans le milieu musical aux États-Unis vers le milieu du XXe siècle. À l’époque, elle n’avait que 24 ans et jouait dans des bars à New York.

Billie Holliday
Billie Holiday

« Strange Fruit » est l’une des réussites de la chanson afro-américaine où la musique, la voix et le lyrisme sont portés à leur plus haut niveau. La chanson est considérée par certains comme l’une des premières chansons antiracistes aux États-Unis d’Amérique. Chantée avec beaucoup d’émotion, de la voix douce et jazzée qu’on reconnaît à Billie Holiday, la chanson va marquer la mémoire de plusieurs générations de Noirs et l’histoire du jazz en général.

Southern trees bear a strange fruit
Blood on the leaves and blood at the roots
Black bodies swinging in the southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees

Pastoral scene of the gallant South
The bulging eyes and the twisted mouth
Scent of magnolia sweet and fresh
Then the sudden smell of burning flesh

Here is a fruit for the crows to pluck
For the rain to gather for the wind to suck
For the sun to rot fort the trees to drop
Here is a strange and bitter crop

Traduction française selon le site du Collège des Flandres

Les arbres du Sud portent un étrange fruit
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines
Des corps noirs se balancent dans la brise du Sud
Fruit étrange suspendu aux peupliers

Scène pastorale du Sud héroïque
Les yeux révulsés et la bouche déformée
Parfum de magnolia doux et frais
Puis l’odeur soudaine de la chair brûlée

C’est un fruit que les corbeaux picorent
Que la pluie fait enfler, que le vent  dessèche
Que le soleil fait pourrir, que l’arbre laisse tomber
C’est là une étrange et amère récolte.

https://www.youtube.com/watch?v=h4ZyuULy9zs

 

 

W.C


La lectrice assassinée

Le 28 avril 2015, la photographe Régina Nicholas a été assassinée par un individu connu sous le nom de Youri Beaubrun à la rue Monseigneur Guilloux. Dans le sac de la victime, nous avons retrouvé des livres : un exemplaire de « Compère Général Soleil » (Jacques Stéphen Alexis) et un exemplaire de « Bain de lune » (Yanick Lahens). Témoignage sur la vie de cette lectrice assassinée.

regina

Régina, quand on s’est rencontrés, te souviens-tu, pour la première fois dans ce pauvre bar appelé « 10traction » par goût de l’hyperbole, à l’avenue Magloire Ambroise, tu voulais que je te prête des livres. C’était un jour de beau temps, comme les jours qu’on n’ose pas nommer de peur qu’ils ne s’effacent et que ne reviennent le chagrin et la mélancolie. Nommer, le sais-tu, c’est admettre que les choses et les êtres sont mortels. Il faisait chaud, sous la tôle ondulée qui nous protégeait des rayons du soleil, mais il faisait beau quand même. Il pleuvait des sourires autour de nous, et les bouteilles de bière tanguaient sur la table fragile, comme un petit bateau ivre. Il pleuvait des rires, des discours philosophiques et d’autres subtilités de la vie. Mais toi, tu m’as approché, non pas parce que mon air timide me retenait de rire à haute voix, mais parce que j’avais des livres entre les mains. Pour toi, peut-être, un homme ou une femme qui porte des livres, peu importe le titre, peu importe l’auteur, était un ami d’office. Tu m’as demandé de te les prêter. Voyant ton acharnement, et connaissant bien entendu le vieil adage selon lequel il faut se garder de prêter des livres aux gens intelligents, je t’ai lu un poème de Dieulermesson Petit frère. La musique était à son plus bas niveau, et j’avais courbé la tête vers ton oreille gauche, et tu as souri à la chute : « Ton sexe est une rue sans trottoir ». Ton rire a explosé dans la cour arrière du bar, et tes amis Chelson Ermoza et Eliezer Guerismé, qui écoutaient timidement, t’ont suivie dans le plaisir que procure le dernier vers du poème. J’ai vite compris que tu étais animée d’un amour sans mesure pour les livres. Je devais te rencontrer quelques fois après, toujours au même endroit, certaines fois avec un kindle dans les mains, parfois, un recueil de poèmes. Le livre semblait être pour toi une canne, un objet sacré qui te retenait en équilibre.

Je ne savais pas que, quelques années après notre première rencontre, tu allais mourir au coin d’une rue, poignardée devant un hôpital, là où d’autres femmes donnent naissance à  de beaux enfants, avec des livres dans ton sac. Dis-moi, Régina, as-tu pensé à Olmène Dorival fuyant la folie de Turtulien Mésidor ou à Hilarion Halarius mort sur la frontière dominicaine quand la lame te transperçait le ventre ? Les témoins m’ont dit que tu as mis du temps pour pleurer ; tu pensais sans doute, la tête dans les livres, le corps poignardé, à des êtres chers qui t’ont accompagnée dans ta vie de lectrice affamée ; tu pensais à Balzac, à Proust, à Hugo, aux poèmes que tu as lus, mais le sais-tu, aucun couteau ne peut extirper en soi l’amour des livres et de la littérature… Bon voyage, amie !

Wébert Charles


Haïti, a-t-elle participé à la foire du livre de Cuba ?

 

Le directeur de la DNL signe son livre au Salon du livre de Cuba (c) Facebook/DNLhaiti
Le directeur de la DNL signe son livre au Salon du livre de Cuba
(c) Facebook/DNLhaiti

Haïti était parmi les pays invités de la dernière édition de la foire du livre de Cuba en ce mois de février. Vous ne le saviez pas. Et moi non plus d’ailleurs. En surfant sur le net la semaine dernière, je suis tombé par hasard sur l’information. Et en tant qu’éditeur, d’une part, et journaliste culturel, d’autre part, j’ai été bien surpris.

 Sur le stand d’Haïti, un drapeau haïtien perché au-dessus de sa tête, le directeur de la Direction nationale du livre (DNL), écrivain médiocre (appelons un chat un chat ! Mais un fonctionnaire n’est pas obligé d’être écrivain, c’est même un compliment que je lui fais en le traitant de la sorte), le directeur de la DNL, disais-je, reçoit, entre séances de dédicace et prises de photo, les curieux venus voir à quoi ressemblent les livres haïtiens. 

 Mais là, un problème est vite apparu. Tous les livres haïtiens portent le logo de C3 éditions. Le pauvre cubain se dit peut-être qu’il existe une seule maison d’édition en Haïti. Et c’est logique de le penser. Pourquoi en existerait-il d’autres ? N’est-ce pas un pays à fort taux d’analphabétisme ? Et le directeur sourit.

Les quelques autres éditeurs haïtiens contactés afin de leur demander s’ils savaient qu’Haïti devait prendre part à la foire du livre de Cuba ont été surpris d’apprendre beaucoup plus de la question que d’y répondre. Ainsi, on n’a pas vu sur les photos publiées sur la page facebook de la DNL des livres des éditions de l’Université d’État d’Haïti, des Presses nationales d’Haïti, des éditions Ruptures, des éditions Zémès, d’Henri Deschamps, de Pulucia, des éditions Konbit, de LEGS ÉDITION, de l’Atelier Jeudi Soir, des éditions du Canapé-Vert… Haïti, a-t-elle participé à la foire du livre de Cuba ?


Donnons à César ce qui appartient à César !

César Vichard de Saint Réal
César Vichard de Saint Réal

La transmission orale du savoir et du savoir-faire pose un sérieux problème : celui de sa transformation, si ce n’est de sa déformation. La littérature, à la fois savoir et savoir-faire, n’est pas la discipline la moins concernée. Je ne sais pas depuis combien d’années on attribue à Stendhal la fameuse formule « un roman : c’est un miroir qu’on promène le long du chemin ». On le répète dans des manuels littéraires, dans des articles critiques, voire lors des séances de cours sur le roman à l’Université. Ce que la critique marxiste appelle « la théorie du reflet » et d’autres critiques littéraires, « la métaphore du miroir », Stendhal ne se l’était pas appropriée.

Dans le chapitre 13 de la première partie de son roman  Le Rouge et le Noir, intitulé « Les bas à jour », Stendhal écrit en guise d’épigraphe « un roman : c’est un miroir qu’on promène le long du chemin ». L’auteur de La Chartreuse de Parme a pris le soin d’inscrire le nom de SAINT-RÉAL en dessous de la citation. Stendhal n’est donc pour rien si on lui attribue ici et là cette formule devenue la phrase-clé du roman réaliste au XIXe siècle. Si, dans la 2ème partie de Le Rouge et le Noir, précisément au chapitre 19, il reprend la formule, on ne peut en aucun cas la lui attribuer.

César Vichard de Saint-Réal est un écrivain français peu connu qui a vécu au XVIIe siècle. Ce qui laisse croire que la métaphore du miroir ainsi dénommée, est moins récente qu’on le pense. Si les œuvres de César Vichard de Saint-Réal sont tombées depuis longtemps dans le domaine public, cela ne veut en aucun cas dire qu’il ne jouit pas d’un certain droit moral. Alors, donnons à César ce qui appartient à César !


Peut-on fabriquer un écrivain ?

La petite marchande de prose
La petite marchande de prose

En me posant cette question, j’ai naturellement pensé au roman de Daniel Pennac, La petite marchande de prose, troisième de sa série des mésaventures de Benjamin Malaussène. Bouc-émissaire parfait attaché à une maison d’édition, Malaussène s’est vu proposer la tâche de devenir du jour au lendemain, le fameux écrivain J.L.B, connu du pays tout entier comme le prophète du mouvement qu’il a baptisé lui-même Le réalisme libéral ou capitaliste, par opposition au réalisme socialiste. Benjamin Malaussène apprend donc l’art (difficile, dirait un académicien) de devenir écrivain. Cependant, il doit faire face à ses lecteurs, et pis encore à des journalistes taquins. Mais il finira tout de même par laisser apparaître son imposture.

L’histoire de Malaussène n’est pas si loin de ce que l’on voit aujourd’hui en Haïti. Il suffit à un éditeur, couplé d’un opérateur culturel, seul délivreur de prix, de nous proposer tel ou tel écrivain comme le nouveau Victor Hugo de son temps. Ainsi, son manuscrit très médiocre est emballé dans un beau format, préfacé ou présenté par un autre écrivain, le plus souvent qui est passé lui aussi par-là, placé dans les vitrines d’un libraire connu et en dernier lieu récompensé par un prix littéraire, qui comme a dit un jour un fin polémiste, n’a jamais récompensé un écrivain. Parfois on imprime des affiches partout, de telle sorte qu’en ouvrant sa fenêtre, l’écrivain est là qui vous attend, en dentelle ou en habit de cocktail.

La fabrique d’un écrivain est une activité purement commerciale et cela doit le rester. Mais quand celui-ci devient une référence, le seul Victor Hugo ou Marguerite Duras en version tropicale, cela pose un sérieux problème et l’on risque de tomber dans l’éloge de la banalité ou de l’imposture intellectuelle. Doit-on assister à la naissance des écrivains Made In Gallimard ou Made In Henry Deschamps, voire même Made In LEGS ÉDITION ? Non, et ceci -comme le dirait une journaliste culturelle- sans l’ombre d’un doute !

 


Peut-on plagier le titre d’un livre ?

Le plagiat est un terme qui revient incessamment ces derniers temps dans les débats littéraires. Pour les critiques littéraires, il s’agit de délimiter la frontière qui sépare Plagiat et Influence ou Intertextualité. Le plagiat, nous dit Paul Aron, « est  l’emprunt significatif par un auteur d’un fragment du texte ou de la pensée d’un autre auteur ». Le terme significatif employé par Paul Aron, aussi vague qu’il soit, a une valeur quantitative, dans le sens qu’il fait référence au volume du texte emprunté. Mais, si cette valeur quantitative ne dit rien sur la proportion du texte à considérer, il est clair que le titre d’un livre, qui ne fait d’ailleurs pas partie du texte, selon une approche purement génettienne, ne saurait être considéré comme significatif.

 Ainsi, parler de plagiat dans le cas d’une reprise d’un titre d’un auteur par un autre est ridicule. Mais, cette reprise, est-elle au même titre que le plagiat, punissable en droit ? Du point de vue général Le code de la propriété intellectuelle protège les titres originaux, mais en ce qui nous concerne, le  Décret sur le droit d’auteur publié en 2005 par le président Boniface Alexandre ne dit absolument rien sur le titre d’une œuvre.

On revient donc à parodier la question de départ à savoir où commence l’originalité et où prend fin le lieu commun ? Mais, on le sait sans doute, pour reprendre une citation du poète Pierre Reverdy,  « les mots n’appartiennent à personne ».


À quoi servent les préfaces ?

La préface de Cromwell
La préface de Cromwell

Quel écrivain n’a jamais reçu la demande de rédiger une préface pour un autre plus jeune ou qui fait ses premiers pas dans la littérature ? Entre la littérature et les préfaces, il y a une longue histoire d’amour, et comme toute histoire d’amour, elle est faite aussi de haîne et parfois même de répulsion. Ce qui peut nous pousser à nous demander si les préfaces, souvent rédigées dans le but de légitimer une œuvre ou un auteur, sont, elles-mêmes, légitimes ? Là, je pense à Bonel Auguste affublé à tort du titre de poète-philosophe par Franketienne ou même à Kermonde Lovely Fifi qu’Emmelie Prophète cite comme une voix qui nous manquait, quand on en a eue tellement… On se souvient des premières lignes de la préface de En route de l’écrivain français Huysman qui disait, dans une ironie sans égale, «…je m’abstiens de faire devancer mes livres d’inutiles phrases ». Ou de la postface du recueil de poèmes Le voyage Inventé (Claude Pierre) rédigée par Lyonel Trouillot, polémiste de son état, disant « heureusement pour les préfaciers qu’il existe ce genre appelé la postface pour leur voler la palme du ridicule ».

Si les préfaces sont inutiles ou relèvent du ridicule, pourquoi s’acharne-t-on à en rédiger ou à demander qu’on nous en rédige ? Le jeune auteur qui mise sur la préface ne court-il pas le risque de la voir voler la vedette à son livre ? Car les préfaces-vedettes, on en a connues : la préface de Cromwell ou celle de Pierre et Jean sont considérées comme beaucoup plus utiles (pour ridiculiser un peu Huysman) que les textes. Mais il s’agit ici de préfaces rédigées par les auteurs des livres eux-mêmes, ce que la critique littéraire appelle la préface auctorielle. Les préfaces peuvent donc faire autant de bien que de mal. Qui ne se souvient pas de cet écrivain, parcourant les rues de Port-au-Prince, cherchant les rares exemplaires de son livre après le départ de Baby Doc se rappelant que ce livre a été préfacé par un tonton macoute. Ce livre dont on ne citera pas le titre, dommage, à cause de la préface, n’a pas vécu longtemps.

Si les préfaciers donnent une part de leur célébrité ou de leur autorité à l’auteur préfacé, l’équation inverse est parfois envisagée par eux. En préfaçant le livre d’un grand auteur, on se donne aussi un peu de légitimité. C’est ce qu’on verra si l’on pense à Lyonel Trouillot préfaçant René Philoctète ou à Emmelie Prophète préfaçant le dernier recueil de poème de Lyonel Trouillot. Mais en vérité, vous dis-je, pour reprendre un peu Mallarmé, « un bon livre se passe de présentation ».


Diane Descôteaux : le romantisme n’a pas de siècle

Diane Descôteaux
Diane Descôteaux

Diane Descôteaux est une poétesse atypique. Un dernier souffle de la poésie classique qui tente de se relever ou de survivre. Si vers la fin du XIXe siècle écrire un poème en prose ou en vers blanc était un acte de révolte, ou d’avant-garde, alors écrire un sonnet au début du XXIe siècle doit absolument en être un aussi. Poétesse d’amour, d’un bonheur fou, « qui frise la démence », Diane Descôteaux accorde une place particulière à la forme. Que ce soit dans des petits poèmes d’origine japonaise de trois vers, appelés haïku, ou des vers français frappés à la Musset, avec le même désespoir, la même tristesse et ce mal-être qui n’a pas cessé de traverser les hommes. Il est donc possible de dire aujourd’hui que le romantisme n’a pas de siècle. Et c’est ce que vient nous confirmer la poétesse dans ce poème que nous avons le plaisir de reproduire ici dans la rubrique « Besoin de poème ».

Mon âme brûle encor, comme d’immenses fours,
De ces ardents charbons qui maintiennent la flamme
De notre attachement que mon verbe déclame
Et qui n’a point de cesse à croître tous les jours.

J’aimerais, avec art, dessiner mes amours
Sur un carré de soie ou sur une oriflamme,
Ou bien te préparer un magique dictame
Que j’étendrais le soir sur ta peau de velours.

Or que ne puis-je donc user de véhémence
Pour dire ce bonheur qui frise la démence
Et qui, depuis toujours, se trouve être le mien ?

C’est qu’il nous faut chercher dans les projets célestes
Afin de découvrir que le cœur, oh combien !
Ressent plus qu’il ne voit les bienfaits de nos gestes…

(Diane Descôteaux)


Un livre sur l’histoire du Parlement haïtien

En novembre 2014, a paru sous la coordination du journaliste Lemoine Bonneau un livre de près de 300 pages intitulé « Le Parlement haïtien, deux siècles d’histoire ». Fruit de la collaboration de la constitutionnaliste Mirlande Hyppolite Manigat, de l’historien Claude Moïse et de Lemoine Bonneau lui-même, ce beau livre est d’une grande richesse documentaire et d’analyse.Parlement

Imprimé en grand format, sur du papier glacé, le livre retrace l’histoire du Sénat de la République, de sa création en 1806, au lendemain de l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines, jusqu’en 2012. Dès les premières pages, Mirlande Hyppolite Manigat nous rappelle avec fierté que « le pays [Haïti] est le deuxième à avoir brisé les liens coloniaux après les États-Unis en 1776…» et aussi « le troisième pays à s’être donné une Constitution moderne en 1805 », toujours après les États-Unis (17 septembre 1787) et la France (3 septembre 1791). Mais une chose qu’il faut signaler, ce qui a démarqué Haïti de ces deux pays, c’est que la Constitution de 1805 n’avait pas souligné la nécessité du pouvoir législatif en concentrant « toutes les préogatives entre les mains de Dessalines ». Ce n’est qu’après la mort de celui-ci, survenue le 17 octobre 1806, soit exactement le 30 décembre de la même année, qu’une décision a été prise pour élire les premiers sénateurs de la République. Ils seront au nombre de 24, dont Alexandre Pétion, Paul Romain, Étienne Magny, Magloire Ambroise, Guy Joseph Bonnet, Guillaume Manigat…, regroupant des militaires et des civils. Voilà donc dans quel contexte a pris naissance le Sénat de la République, selon Mirlande Manigat.

Dans la troisième partie du livre, l’historien Claude Moïse couvre la période allant de 1930 à 1961, « De la désoccupation au cataclysme duvaliérien ». Dans cette section, le professeur Moïse décrit la résistance du Sénat aux manipulations gouvernementales dans le contexte de l’occupation américaine (1915-1934). L’année 1934, nous dit Claude Moïse, « verra l’hostilité persister et se renforcer entre le pouvoir exécutif et le Sénat. Celui-ci refusera, en effet, de sanctionner des projets de loi vitaux pour le gouvernement, tel le contrat sur le commerce de la figue-banane déposé en novembre 1933 et celui du rachat de la Bbanque mis au point par les Américains et signé le 12 mai 1934 ».

Le long règne des Duvalier a été une période boulversée pour le Sénat. Le monocamérisme de Duvalier a consisté à épurer le Parlement, donnant naissance à ce que Claude Moïse appelle un « Parlement duvaliériste ». Le journaliste Lemoine Bonneau poursuit sur la même lancée au dernier chapitre du livre. « Le Parlement réhabilité (1961-2002)». Cette période nous semble la plus longue, tellement elle est traversée par des bouleversements politiques, avec un pays qui passe d’un régime totalitaire à une « bamboche démocratique ». Si, pour François Duvalier, le Sénat demeurait « le haut lieu de la conspiration politique contre le président de la République » (Lemoine Bonneau), la nouvelle démocratie ne saura s’en accommoder.

L’histoire du Parlement haïtien, principalement du Sénat de la République, peut servir de repère pour raconter l’histoire des régimes politiques haïtiens. C’est ce que  vient nous confirmer ce livre important sur le Sénat qui aura, on l’espère, une grande incidence sur la manière de gérer les relations entre les pouvoirs exécutif et législatif. Nous souhaiterions qu’un document de ce genre soit également réalisé pour la Chambre des députés, afin que l’histoire du Parlement haïtien soit complète.